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Critique de domi_troizarsouilles


J'ai trouvé ce livre tout à fait par hasard, un jour où je naviguais sans envie particulière sur le site de Lirtuel (la bibliothèque belge francophone en ligne et gratuite !). Ce n'est pas que je n'aie pas assez à lire à la maison, mais après une période de légère baisse, je suis de nouveau très motivée par la lecture. En outre, le matin dans le métro, surtout quand on joue à la sardine (seuls peuvent me comprendre ceux qui doivent prendre trop souvent des transports bondés, façon boîte de conserve), c'est tellement plus facile de lire sur son téléphone que de devoir s'occuper d'un livre papier qu'on ne sait trop comment tenir !

Bref… J'ai assez vite accroché. La plume est fluide et, sans pour autant être la plus passionnante que j'aie jamais lue, elle suffit (très largement !) à faire vivre tous ces personnages déracinés, et les cerne tant et si bien qu'on se croirait parmi eux. On se retrouve réellement au milieu de tous ces Européens du Nord, attiré dans la Grande Plaine « nettoyée » de ses peaux-rouges, et que les entrepreneurs américains déjà installés – dont le chemin de fer en pleine apogée – devaient voir venir pour cultiver ces terres impossibles, et ainsi pouvoir les saigner à blanc. C'est que ce roman est bien davantage que la relation du « Blizzard des enfants », épisode météorologique réel de cette Histoire de l'Amérique, survenu en 1888, dont l'autrice a eu la bonne idée de dire quelques mots en fin d'ouvrage. (À noter au passage que l'éditeur a fait le choix d'inverser, si l'on peut dire, l'ordre des mots : Children's blizzard, c'est bel et bien le Blizzard des enfants, même dans le titre en vo… Un choix qui ne change pas grand-chose à vrai dire !)

En effet, on a là un roman sur l'immigration (nord-)européenne massive vers ces Etats-Unis tous neufs, tout juste sortis de la Guerre de Sécession et des guerres indiennes. Et comme pour rendre cette Histoire plus vivante, plus proche de ses lecteurs, l'autrice a eu la bonne idée de développer ce peuplement très artificiel d'une région tellement inhospitalière mais vantée par des marchands sans scrupules, en la limitant à cet épisode très court mais tellement significatif, et ses quelques retombées, le tout à travers quelques personnages fictifs mais qu'elle a voulus représentatifs, et « qui marchent » ! Elle n'oublie pas non plus de mentionner que tout cela s'est fait dans des conditions plus que difficiles : outre les calamités naturelles récurrentes de ces contrées encore tellement sauvages et jusque-là jamais cultivées (elle ne dit pas mais pense tellement fort, à travers un tel roman, que les Indiens avaient bien compris, eux, qu'on ne pouvait rien en tirer !), c'est un style de vie terriblement isolé, chaque ferme étant à des kilomètres de son plus proche voisin ; loin des siens et de la patrie natale… où beaucoup ont fini par retourner, complètement déboussolés.

On suit ainsi les histoires parallèles, mais ô combien différentes, de deux soeurs d'origine norvégienne, encore adolescentes (17 et 16 ans), mais déjà institutrices comme on pouvait l'être à l'époque même chez nous ; soeurs qui se retrouvent doublement déracinées : loin de cette Norvège qu'elles n'ont jamais connue, et loin de chez leurs parents, car leurs postes d'enseignantes leur a valu de loger « chez l'habitant » au plus proche de leur école, elles qui sont femmes, jeunes et célibataires dans un monde où seul la force musculaire de l'homme fait loi. Leurs deux histoires sont émaillées du suivi de quelques autres personnages secondaires, eux aussi plus ou moins attachants, et qui complètent le tableau pour faire mieux entrer le lecteur dans ce monde aujourd'hui disparu (quoique…).

L'autrice nous raconte ainsi d'abord, en quelques pages introductives, l'histoire personnelle de la rayonnante et sûre d'elle Gerda, et de la timide et douce Raina qui avait jusque-là toujours vécu dans l'ombre de son aînée. Jusqu'à ce jour où, livrées chacune à elle-même pour des raisons diverses, elles se retrouvent à devoir faire des choix impossibles dans des conditions dantesques, et en vivre ensuite toutes les conséquences, une fois les éléments calmés. C'est bien entendu l'épisode du blizzard qui est au centre du roman, et qui compte le plus grand nombre de pages, sans que ce soit jamais ennuyeux – mais bon, contrairement à certaines critiques que j'ai lues, je n'ai pas à ce point ressenti le froid, le malheur, le désespoir etc. avec nos héroïnes – suis-je à ce point blasée quand je lis ?... – mais je peux reconnaître que c'était extrêmement vivant et documenté, pas de doute là-dessus.
L'autrice passe ensuite habilement à une espèce de suite de cet épisode, à travers les premiers jours d'ébahissement après un tel événement, les réactions des uns et des autres, les retombées à moyen terme pour chacun d'eux, puis les chemins de vie de chacune des deux soeurs devenues adultes. Mon plus grand regret est que, finalement, elle ne nous a pas proposé de vraie fin : sans mauvais jeu de mots, on reste vraiment sur sa faim, car si le destin de Gerda semble tout tracé et l'autrice le confirme en grande partie, Raina semble s'évaporer de l'histoire dont elle était pourtant l'héroïne principale, ce qui génère bien un vague sentiment de frustration. Peut-on espérer une suite ? le cas échéant, je la lirais avec plaisir !

Tout ça pour dire que, oui, ce livre m'a beaucoup plu, tant pour le plaisir de l'histoire que l'autrice parvient à susciter, et ce même si je ne me suis pas sentie aussi immergée que d'autres lecteurs ; sa façon de jouer avec l'Histoire à travers une petite histoire qui pourrait presque ressembler à un conte, qu'elle partage avec talent.

Ma seule réserve, finalement, est que ce livre touche par moments à quelques sujets qui « font » très XXIe siècle. Sans doute est-ce dans l'air du temps, ces bons sentiments qui fusent partout à temps et à contre-temps, mais j'ai surtout trouvé cela très anachronique et dès lors peu crédible. Je pense notamment – et je ne crois pas que ce soit divulgâchant – à ce souci que semblent avoir eu certains face à la situation des Indiens. Ces derniers, désormais vaincus, avaient alors été parqués dans ces tristement célèbres réserves : c'était le tout début d'une déchéance qui n'a cessé d'être entretenue par les Blancs depuis lors, tandis qu'on leur enlevait leurs enfants pour les « civiliser » dans des écoles sous-financées où on pratiquait davantage les mauvais traitements (y inclus le viol des jeunes filles) que l'enseignement.
Or, j'ai un gros doute sur le fait que les Blancs de l'époque – eux-mêmes en grande partie déracinés comme on l'a vu - se soient vraiment souciés des Amérindiens. Quelques rares parmi eux ? mais qui en tout cas n'ont rien fait… et c'est encore plus improbable quand l'autrice laisse entendre que le pasteur strict qu'était le père de nos deux héroïnes aurait eu un tel souci, pour ensuite rejeter sa propre fille qui par malchance a fait un mauvais choix au mauvais moment, sans pouvoir en aucune façon en mesure les conséquences à ce moment-M !
L'amitié improbable entre un cafetier noir et quelques blancs, dont un seul lui conservera son amitié quand une implacable ségrégation raciale commence à s'installer dans les villes en devenir de cet Ouest en construction, est davantage crédible… et est dès lors beaucoup plus poignante !

Je referme donc ce livre encore toute enchantée par ce plaisir de lecture, malgré le fait qu'il relatait un épisode (météorologique, mais aussi humain) particulièrement dur de l'Histoire des Etats-Unis. L'autrice sait conter son histoire dans l'Histoire avec talent, ses personnages sont attachants ou en tout cas bien rendus et, malgré quelques soucis anachroniques pas tout à fait crédibles, c'était une lecture très vivante, et on espère une suite !
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