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Critique de berni_29


À la faveur d'une visite l'autre jour à la foire aux livres de Fontenoy-la-Joûte, cette vieille édition de poche à la couverture surannée m'a fait de l'oeil. Mademoiselle de la Ferté est ma première incursion dans l'oeuvre romanesque de Pierre Benoit, écrivain français presque oublié aujourd'hui.
Nous sommes dans Les Landes à la fin du XIXème siècle, dans la campagne proche de Dax.
Dès les premières pages il semble que tout soit dit, tout soit scellé. Anne de la Ferté et son cousin, Jacques de Saint-Selve, fils d'une riche famille de négociants en vins et spiritueux établie à Bordeaux, s'aiment et désirent se marier. Cependant ce mariage n'est pas du goût de Madame de Saint-Selve. En effet, le père d'Anne aura quasiment passé son existence à dilapider la fortune familiale dans des placements et investissements scabreux. À sa mort, il laisse à son épouse des dettes, des hypothèques, une vieille maison de campagne humide et malsaine, entourée de marais saumâtres, et à sa fille unique l'absence de dot. Pour entrer dans les grâces de Madame de Saint-Selve, Anne de la Ferté consent à laisser partir pour un an son fiancé à Haïti où la famille gère une affaire de production de rhum. Ils se marieront à son retour. Un an plus tard, Jacques s'est en effet marié, mais pas avec Anne. Il a épousé une jeune, belle et riche héritière anglaise, Miss Galswinthe Russel, fille du consul général d'Angleterre à Port-au-Prince. Quelques jours avant le retour du couple en France, Jacques décède brutalement d'une insolation. Galswinthe de Saint-Selve ramène à Bordeaux la dépouille de son défunt époux. Anne de la Ferté accueille dans une douleur froide, mutique ces deux coups de théâtre. Quelques temps plus tard, quand Anne de la Ferté apprend par hasard que sa rivale, son ennemie, Galswinthe de Saint-Selve, vient de s'installer dans la maison de campagne toute proche, c'est à peine si un frémissement d'émotion peut se lire sur le visage de la jeune femme... En si peu de pages, tout semble avoir été dit, cependant que l'essentiel de la force du récit va se dérouler désormais sous nos yeux. En effet, contre toute attente, les deux jeunes femmes vont se lier d'amitié. La trame psychologique du roman va se cimenter autour de cette amitié étrange et ambiguë.
Ce récit fait le portrait troublant de deux femmes dont les caractères s'opposent. L'une est insouciante et délurée, l'autre distante et réservée.
Le seul point commun qui les anime est une jalousie féroce l'une pour l'autre...
J'ai beaucoup aimé ce roman.
Une violence sourde, étouffante pèse sur les pages de ce récit aux allures parfois machiavéliques, qui se déploie comme une toile d'araignée. Est-ce que cela tient à ces marais insalubres, à ces landes oppressantes...? À l'ambiance glauque qui entoure le dessein peu scrupuleux de ces familles de la bourgeoisie bordelaise de fin du XIXème siècle ? Ou bien peut-être à ce personnage féminin hors du commun qu'est Mademoiselle de la Ferté ? Il m'a été difficile d'éprouver de l'empathie ou de la compassion pour ce personnage insaisissable, difficile aussi de la détester... Cependant, comment ne pas être impressionné par sa froide détermination, par son orgueil inexorable qui l'aide à se relever des trahisons et des humiliations ? J'aurais voulu sonder les eaux sombres de son coeur... C'est une fascination ambiguë qui m'a sidéré, tenu en haleine...
Il faut reconnaître que l'auteur cultive un art sophistiqué dans les silences et les non-dits, laissant à chaque instant planer le doute sur les intentions de la narration... Jusqu'à la fin du récit, l'auteur s'échappe, s'esquive, laissant le lecteur seul devant le texte faire son interprétation, poser son jugement : cette femme était-elle sincèrement dévouée à sa jeune amie ou bien effroyablement manipulatrice ? Je me pose encore la question à l'heure d'écrire cette chronique...
Il y a une mécanique de la narration tendue vers le dénouement final qui est magistral.
J'ai trouvé chez l'auteur une manière toute en subtilité de fouiller l'âme humaine, de la disséquer au scalpel. L'écriture y est pour beaucoup. La peinture sociale de cette bourgeoisie nauséabonde est sans concession. Mais d'une manière générale, les personnages masculins sont fats, lâches, grotesques, en prennent pour leur grade, en particulier la profession médicale. Et puis, comble de bonheur, rencontrer un auteur qui traite la langue française avec autant de richesse et de délicatesse est ici un véritable régal ! Pierre Benoit est un auteur que je ne suis pas prêt d'oublier...
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