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Critique de colka


Ce roman de Rachid Benzine : Les silences des pères, m'a touchée à la fois par le rappel salutaire d'événements historiques sur lesquels le vent de l'histoire est passé bien vite et qui ont disparu de la mémoire collective, et aussi par la présence d'un personnage, Ahmed Chehlaoui, dont la trajectoire de vie dans le roman, nous les rappelle, à chaque page tournée, tant fut douloureuse l'existence de cet homme venu de son Maroc natal, des rêves plein la tête et qui finira son existence à Trappes en 2022, dans une de ces grandes cités construites à la hâte dans les années 70 pour loger tous les travailleurs immigrés que la France avait "généreusement" accueillis pour mieux les exploiter...
C'est à travers le regard de son fils, le narrateur du roman que nous allons partir à la découverte de cet homme. Un regard très distancié, au début du roman, qui associe le retour du fils, devenu un pianiste concertiste de renommée internationale, à la mort de ce père qu'il n'a pas revu depuis vingt-deux ans. Un regard également sans concession pour lequel le mutisme du père est une réponse à la douleur de l'exil et à la nostalgie de la terre natale. Une sorte d'exil intérieur qui n'a jamais quitté cet homme et qui, selon le narrateur, l'aurait coupé de la famille qu'il a fondé en France. C'est donc ce personnage qu'il nous fait découvrir au travers d'évocations sans affect et qui se limitent au constat de fait : "C'est à la fois mon père et un étranger qui est mort". Il va falloir une découverte, celle de cassettes enregistrées que son père envoyait à sa famille restée au Maroc et celle de l'évocation d'un ami, Driss Fnine, pour le sortir de son détachement apparent et faire qu'il va se lancer dans une véritable enquête dont il ne sortira pas indemne...
Car c'est bien d'une enquête qu'il s'agit. Elle va conduire le narrateur à la découverte des compagnons d'infortune que son père a côtoyés durant ses années de dur labeur dans les mines, les cimenteries et sur le travail à la chaîne. Et c'est un tout autre homme que son fils va découvrir : courageux, solidaire, meneur de troupes, engagé, il se révèle également au fil des témoignages comme un homme qui avait un sens artistique développé, qu'il a cultivé dans la musique et le cinéma. Sur le plan de l'intime, les cassettes envoyées à sa famille vont être la source de bouleversements émotionnels pour la narrateur, lorsqu'il va découvrir, par exemple combien la mort de son fils aîné Ibrahim a été pour son père un incommensurable chagrin qui l'a conduit aux portes du désespoir et qui a probablement ravivé un premier traumatisme, celui de n'avoir pu épouser, une Française, Paulette par respect pour les lois familiales...
On est donc aux antipodes de ce personnage lointain et absent qui nous était présenté au début du roman par le narrateur qui va d'ailleurs découvrir en dernier lieu combien ce dernier l'admirait et suivait tous ses concerts.
J'ai donc suivi pas à pas ce personnage très attachant et emblématique, à travers les récits de ses amis, d'une certaine époque dont il n'y a pas lieu d'être fier... Un seul regret cependant, c'est de n'avoir pu suivre avec le même intérêt les bouleversements que toutes ces révélations avaient induits dans la psyché du narrateur qui reste, à mon goût très en retrait dans tout le roman. Et ce n'est pas le dénouement très rapide et un peu convenu qui a comblé ma frustration... Un bémol qui n'efface pas le bel hommage à la filiation et à la reconnaissance de ses origines...
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