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Critique de Fabinou7


«  Pourquoi rit-on d'un orateur qui éternue au moment le plus pathétique de son discours  ?  ». Qui a dit que la philosophie était chose sérieuse ? Ne jugeons pas (trop) le philosophe sur l'intérêt sociétal et la pertinence de ses questionnements métaphysiques...

Le style est judicieusement pédagogique et le lecteur peut ainsi naviguer à vue sur le cours des pensées de l'auteur, sans être parasité par un langage pompeux et des concepts sui generis qui peinent à faire oublier l'intellectuel égotique derrière le propos et finissent par faire boire la tasse au lecteur.
A grand renfort d'allusions théâtrales, Bergson tisse pour son lecteur une typologie du comique, s'attardant notamment sur la forme, le geste, le langage, le caractère et la situation pour conclure sur une définition plus large de l'art et son objet, dont découle une mise en relief de la comédie par comparaison avec la tragédie.

« Le rire châtie les moeurs ». Cette étude sur le rire, parfois décrit comme « le propre de l'homme » a le mérite de faire ressortir une fonction anthropologique fondamentale mais peu glorieuse du rire, un rire qui se prend au sérieux, que l'on craint comme la foudre, et qui a pour fonction de purger la société de tout ce qui ose, impétueusement ou inconsciemment, s'éloigner de la norme. Pour Bergson « plaisir de rire n'est pas un plaisir pur, je veux dire un plaisir exclusivement esthétique, absolument désintéressé. Il s'y mêle une arrière-pensée […] Il y entre l'intention inavouée d'humilier, et par là, il est vrai, de corriger, tout au moins extérieurement. »

« Nous rions toutes les fois qu'une personne nous donne l'impression d'une chose ». La norme sociale, le caractère humain c'est, pour Bergson, le mouvement, la perpétuelle agilité qui prévoit, qui bifurque, qui anticipe. Toute mécanisation rigidement plaquée sur du vivant fait le fonds de commerce des guignols, vaudevillistes, caricaturistes et autres tartufferies. L'auteur invite opportunément Molière en renfort, analysant « le caractère d'Alceste » comme « celui d'un parfait honnête homme. Mais il est insociable, et par là même comique. Un vice souple serait moins facile à ridiculiser qu'une vertu inflexible. C'est la raideur qui est suspecte à la société. »

« Est-ce bien loyal, ce que nous faisons là ? Car enfin, ces malheureux actionnaires, nous leur prenons l'argent dans la poche… — Et dans quoi voulez-vous donc que nous le prenions ? ». Aujourd'hui encore, avec le stand up,les canulars, le théâtre de l'absurde, les lapsus et l'autodérision c'est encore de cette raideur, de ces réflexes, de cet automatisme dont on rit, comme pour les expier collectivement.

La réflexion de Bergson s'achève sans avoir parcouru toutes les pièces de la maison du rire, non sans avoir pris le soin d'esquisser de nouveaux chemins à emprunter, à l'opposé de ce rire moqueur, notamment celui de la jovialité et de la détente qu'il procure, à l'image du Bouddha rieur. Ou bien encore celui du rêve, « il n'est pas rare qu'on observe dans le rêve un crescendo particulier, une bizarrerie qui s'accentue à mesure qu'on avance. Une première concession arrachée à la raison en entraîne une seconde, celle-ci une autre plus grave, et ainsi de suite jusqu'à l'absurdité finale. »

Bergson nous laisse le sentiment émancipateur de celui qui reprend le gouvernail avec l'intuition que le rire en apprend davantage sur le rieur que sur son objet.
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