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Critique de HundredDreams


Attirée par la superbe couverture, focus sur le tableau d'un de mes artistes préférés, « La vie et la mort » de Gustave Klimt, séduite par le beau billet de Marie-Caroline (@mcd30) que je remercie, je ressors charmée par la singularité de cette auteure suisso-gabonaise. J'ai aimé me laisser envelopper par la musicalité des phrases, par cette langue qui porte en elle autant de poésie que de douleurs, par ces histoires familiales surprenantes qui s'entrelacent, qui flirtent avec le fantastique, avec pour toile de fond l'Amérique coloniale et le Gabon, pays des hommes fiers.

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Née en Cornouailles en 1667, royaume des fées, des elfes et des sorcières, la naissance de Jane est nimbée de mystère et de magie. C'est son histoire que nous raconte Bessora.

Sa mère, une adolescente, accusée d'avoir été engrossée par le diable et bannie du village, accouche d'une petite fille, seule, près d'une rivière bordée de narcisses. Avant de mourir, elle tresse un berceau dans lequel elle y dépose son enfant ainsi qu'un Narcisse. Puis, dans un dernier effort, elle confie le couffin devenu barque à la rivière.
Découverte et adoptée par Abigaïl, une jeune célibataire sans enfants, elle prénomme le bébé Jane.

Les années passent. Devenue adolescente, Jane la boiteuse, sera accusée de vol, bannie d'Angleterre et déportée aux Amériques pour y être vendue à un planteur pour une durée de sept ans.

« Au fil des jours, nous soignâmes nos plantules, notre complicité grandissait. Mon ennemie intérieure, la rotule était toujours déterminée à retourner en Cornouailles. Mes genoux se disloquaient de temps à autre : mes facultés d'adaptation à la servitude et au nouveau monde les révulsaient. Si seulement ils avaient pu infléchir la course du bateau, contrecarrer l'océan ! »

Là, va se poursuivre son étrange destin, la liant à Johann, qui, deux siècles plus tard, part en Afrique à la recherche des gorilles pour en tuer un. Il faudra attendre les dernières pages du récit pour comprendre ce qui les unit.

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La voix de Jane nous entraîne dans un récit qui trouve ses racines dans L Histoire mais se lit comme un conte. Elle peut être autant porteuse, conteuse, ensorceleuse, voyageuse, rêveuse que songeuse, soucieuse, courageuse, audacieuse, râpeuse.
Avec elle, on prend conscience d'un monde imperceptible qui affleure celui des esprits, celui aussi de ce Narcisse aux étranges pouvoirs : il s'étiole et se ranime, s'éteint ou s'illumine, répand un parfum putride ou entêtant, suivant l'humeur et l'état d'esprit de Jane.

« le narcisse couché dans la bible, au coeur Du Livre des prophètes, en était le trésor endormi. La fleur était sèche, mais en même temps si vivace. Desséchée tel un Hottentot empaillé, elle n'en était pas moins irriguée d'un fluide vivifiant : ses couleurs, intactes, bavaient encore sur les versets qu'elle soulignait.
Qui avait fait de cette bible un linceul ?
Depuis des siècles, la fleur déteignait sur les paroles divines. Et sa fraîcheur affirmait tout à la fois que le temps n'existait pas. »

En marchant dans les pas de Jane et de ses descendants, on s'imprègne d'une ambiance poétique et onirique. Bessora emporte le lecteur sur la ligne du temps, brassant lentement passé, présent et futur. Plus on avance dans le récit et plus les souvenirs et les rêves se mélangent à la réalité, plus le temps bâtit des ponts entre les époques.
Ainsi, les destins se croisent, se lient, s'emboîtent, se confondent, se rejettent ; les époques se superposent, se mélangent, se répondent.

« Frissonnant, Waneta me dit comment on tue ses parents. En naissant. En les oubliant. En les effaçant. »

De cette atmosphère rêveuse, découle cette impression d'odyssée dans le temps, de voyage dans l'espace, de balade poétique parfois accompagnée d'une sensation de vide et de chagrin. La force du récit réside également dans la sensation d'être incorporé dans le monde de l'invisible. La terre et les éléments naturels, le vent, la pluie, le soleil participent également à cette impression d'être littéralement enveloppé, comme s'il existait des passerelles entre le monde des vivants, celui des morts, celui de la Terre et de ses éléments.

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L'autrice a une très belle écriture, élégante, mélancolique et introspective, on ressent immédiatement son amour des mots.
Avec ce roman qui marie Histoire et réalisme magique, Bessora montre une plume douce d'une
grande délicatesse quand elle parle du deuil et des sentiments, mais également puissante quand elle montre la pire facette de la nature humaine dans la traite des esclaves, l'injustice, l'exclusion.
L'auteure nous offre également une belle réflexion sur l'amour et la culpabilité, l'esclavage et la dignité, l'exil et la recherche de racines, le sens de la vie et la liberté.

« J'étais fascinée, quand même, par ma faculté à comprendre ces théories de la liberté et de l'accumulation. La vraie liberté, compris-je, c'était le pouvoir d'exploiter toute chose et toute personne en dehors de soi. »

Entre ces pages, on croise des femmes fortes, fragiles, douces, blessées, muettes ou boiteuses. On partage leurs secrets et leurs peurs, leurs espoirs et leurs désillusions, leurs regrets et leurs renoncements.

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Pour finir, je me suis coulée dans un monde nimbé de magie où les temporalités s'entremêlent, où la vie et la mort défient la raison. J'ai été captivée par la magie du récit, par sa sensorialité, par son rythme lent et progressivement décousu.
Un roman à l'atmosphère mystérieuse, à la fois douce et violente, lumineuse et sombre, poétique et tragique.
Une autrice à découvrir.
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