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Critique de Zephirine


Saara
Beyrouk

C'est un chant choral dans un pays et une ville sans nom que nous fait découvrir Beyrouk dans « Saara »
Les voix alternées de trois personnages tissent l'histoire entre conte philosophique et récit social.

Saara ouvre le bal en nous contant sa tragédie. Elle qu'on nomme « la mauvaise fille, la garce, la mangeuse d'hommes, l'impure » en fustigeant ses moeurs légères et sa liberté provocatrice, a toujours subi la violence des hommes, à commencer par son père maltraitant envers sa femme et ses deux filles.
Parmi ses amis, on trouve Sam le poète, Aziza et Zeinab ses amies et Jid, un jeune mendiant sourd et muet qui est l'une des voix du récit. Lui aussi a en commun avec Saara de subir la violence des hommes dont il se protège en s'enfermant dans un faux handicap qui lui permet d'écouter sans éveiller la méfiance.
La troisième voix, c'est celle de Qotb, promu cheikh après son père, fondateur d'une communauté religieuse réfugiée dans l'oasis de Louad.

Loin de la ville dont elle est séparée par une montagne aride, la communauté de Louad vit aux portes du désert dans la paix et la prière. Louad, « était la Médine de son coeur » disait le premier Cheikh, ce devait être une terre d'oubli destinée à la foi mais le cheikh Qotb s'interroge : « Qu'est-il advenu de nos espoirs et de nos certitudes ? ». Il est désemparé, comment s'opposer sans violence à la décision du maire corrompu et de ses sbires au projet de construction d'un barrage dans l'oasis qui les priverait de leur refuge et attirerait les citadins cupides qui mettraient en péril leur foi.
Ces trois personnages, qui ont en commun une certaine dignité face aux aléas de la vie, devront faire front, chacun à sa manière, aux évènements à venir.
Le fait de ne jamais nommer précisément les lieux – il y a une ville une montagne une oasis – fait pencher le récit vers le conte. L'écriture poétique, très imagée de Beyrouk joue aussi ce rôle. Et puis nos trois personnages, fiers et singuliers, auront des épreuves à surmonter. Ici, point de fantastique et, même si des cris s'échappent parfois de la montagne, nul être fabuleux pour venir contrer les destins. Non, le mal vient de la ville et de ses édiles puissants et riches qui pourrissent tout et qui ne connaissent que le pouvoir de l'argent et la violence.
Le monde tel que nos personnages l'habitent se fissure peu à peu tandis que l'ombre du barrage se fait de plus en plus menaçante.
Le lecteur suit les péripéties dans les pas de Saara, Jid et Qotb, mais, surtout, il partage leurs introspections, leurs états d'âme et leurs sursauts.
Ce récit sert aussi à montrer du doigt les dérives d'une société matérialiste, égotiste et violente à laquelle s'oppose d'autres façons de vivre plus altruistes et désintéressées. Cette spoliation autoritaire, c'est un médecin occidental qui la résume le mieux en s'adressant au cheikh : « C'est vrai, mon ami, cette terre vous appartient, mais ce que tu ne comprends pas… c'est que ces gens ont déjà volé votre pays entier et qu'ils n'hésiteront pas à s'emparer d'une terre prometteuse comme celle de Louad. »
La dimension écologique est aussi présente avec le symbole du barrage construit pour le profit d'un petit nombre au détriment de gens modestes qui vivent en autarcie vivrière.
En dénonçant le saccage d'un environnement préservé et l'appropriation d'un territoire, l'auteur a une vision politique. Avec ce drame annoncé, il nous laisse méditer sur les dérives de ce monde.
En s'attardant sur leurs états d'âme, l'auteur nous communique son empathie envers ses personnages.

« Saara » est un récit puissant, une histoire universelle qui donne à réfléchir et, jujube sur le gâteau, l'écriture est lumineuse, ciselée et poétique.

J'avais eu le plaisir de découvrir cet auteur à travers son roman « le silence des horizons » et j'ai retrouvé dans « Saara » le même plaisir de lecture.

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