AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Ce matin, à l'invitation d'une institutrice qui est par ailleurs une amie, Sandrine, je suis allé à la rencontre des élèves de sa classe, d'un cours élémentaire en école primaire, pour leur raconter une histoire inspirée d'un conte coréen, le poil de la moustache du tigre.
- Haha, mais aujourd'hui c'est mercredi, il n'y a pas d'école !
- Oh mais dites donc, ça commence bien ! Mais oui, c'est mercredi, ça prouve bien qu'ils étaient drôlement motivés ces enfants, pour venir écouter cette histoire ! D'ailleurs, vous qui faites les malins, auriez-vous été capables d'aller le chercher, le poil de la moustache du tigre ?
Les élèves se sont assis en cercle autour de moi, pas trop près parce que j'avais besoin d'espace pour leur mimer l'histoire. Vous savez, un tigre, cela prend beaucoup de place. En plus, s'il faut lui arracher un poil de sa moustache, pensez donc... Mais, chut... ! J'en dis déjà trop...
Je suis donc resté debout et j'ai alors invité à entrer dans le cercle cette jeune femme nommée Yun Ok. J'ai fait un grand geste comme pour la faire venir, comme si elle existait, était là parmi eux, parmi nous dans la classe, comme si elle se frayait un chemin entre les tables et les chaises, les enfants se sont retournés et alors ils sont entrés dans l'histoire avec des yeux ébahis...
Nous sommes dans la Corée ancienne, très ancienne, Yun Ok voit revenir son mari après trois années de guerre. Physiquement il n'est pas blessé, mais ses blessures sont ailleurs, la guerre lui a laissé de graves séquelles psychologiques comme à tous ceux qui reviennent des guerres. Il est devenu triste, ne parle plus à personne. Ne parle plus à sa femme Yun Ok. Il est éteint. Afin de retrouver son amour, la jeune femme décide de consulter un vieil herboriste qu'elle connaît dans l'espoir que celui-ci lui confectionnera une potion magique adéquate.
Mais la solution que celui-ci lui propose est une épreuve très difficile, presque impossible, celle d'aller chercher là-bas loin dans la montagne le poil de la moustache d'un tigre...
J'ai senti alors les enfants suspendus à mes mots, à mes gestes, on aurait entendu une mouche voler dans la classe.
Un seul poil suffira, dit l'herboriste d'une voix sereine et confiante. Tout de même, vous en avez de bonne, même si ce n'est qu'un seul poil, il faut aller le chercher celui-là, répondit la femme. Mais déjà, elle quittait la boutique de l'herboriste, souriante, déterminée...
Je fis un silence au milieu de l'assistance pour voir si je n'avais perdu personne en chemin. Sandrine me fit un clin d'oeil complice et rassurant, m'encourageant à continuer...
- Alors, alors, cria un des enfants impatient, - c'était le petit Paul avec un caméléon sur l'épaule, elle l'a récupéré son poil de tigre ?!
Les enfants se mirent à rire. La petite Gaëlle, qui venait de dessiner un joli tigre sur son cahier, avait des yeux émerveillés et ne cessait de dire : « je suis sûr que cette histoire va bien finir. » Ses deux voisines qui l'entouraient, Onee et Nicola, n'arrêtaient pas de la bousculer de leurs épaules taquines, pendant que la petite Doriane, derrière elles, gloussait en mangeant du chocolat. La petite Chrystèle griffonnait plein de notes sur un petit cahier à spirales, tandis que la petite Francine se leva et dit à ses camarades en pointant un doigt vers le ciel ou tout simplement le plafond de la classe : « ce n'est pas qu'une simple histoire de tigre et de poil de moustache, je vous le dis, moi... ».
Le petit Jean-Michel demanda alors : « Monsieur, monsieur, pourquoi il est triste le soldat ? Il n'est pourtant pas blessé et il retrouve même sa femme. »
- C'est parce qu'il a vu des trucs terribles ! lui répondit le petit Paul.
- Il a peut-être tué d'autres soldats, suggéra le petit Patrick.
- Moi je sais M'sieur, moi je sais pourquoi, s'écria la petite Doriane levant la main, les joues encore couvertes de chocolat.
Sandrine, l'institutrice dut intervenir pour calmer gentiment l'auditoire...
Plus tard, lorsque je finis de raconter l'histoire... Ah oui, je vous vois venir, vous auriez voulu connaître la fin de l'histoire, mais non, je ne vous la dévoilerai pas ici... Pas encore...
Plus tard donc, lorsque je finis de raconter l'histoire, je sortis du cercle à pas de velours, à pas de tigre, avec un geste de la main et du poignet très lent le long du visage pour imiter les poils de la moustache du tigre... Et Sandrine vint reprendre sa place dans le cercle pour recueillir la parole des élèves, leurs visages, leurs yeux, leurs échos, leurs émotions. Il n'y avait plus un murmure, plus de rires, plus de mouvements, rien que le silence, un silence qui ressemblait cependant à une écoute qui continuait, à un point de suspension, quelque chose qui attendait d'autres mots, d'autres mots que le conte désormais, le conte qui ne pouvait plus rien puisqu'il avait tout dit déjà, il fallait le prolonger avec d'autres mots, les mots des enfants, les mots qu'ils poseraient à leur tour sur cette histoire... La représentation qu'ils se font de l'amour, du désir, de la séparation, avec ceux qu'ils vivent peut-être autour d'eux dans leurs familles... La représentation qu'ils se font peut-être d'une guerre actuelle, lointaine qu'ils entendent dans les mots de leurs parents ou qu'ils voient à la télé...
Mais plus loin que le désir et l'amour, plus loin que la guerre et ses ravages, il y avait ici dans ce texte, il y a encore cette résilience qui demeure plus que jamais, qui traverse le conte, qui traverse nos âmes, qui fait tenir debout...
Le poil de la moustache du tigre est un recueil de contes écrit par Muriel Bloch, avec de touchantes et naïves illustrations d'Aurélia Grandin, recueil publié dans la collection Petits contes de sagessse chez Albin Michel Jeunesse.
Cette fable inspirée d'un conte traditionnel coréen illustre la très belle force mentale d'une femme amoureuse au secours de son mari qui a complètement perdu l'esprit à cause de la guerre.
Tout est dit ici, tout ici est universel et peut être compris par des enfants. Il faut leur en parler, leur parler de cela, à ce titre les contes sont de magnifiques passerelles pour prendre la main...
Deux autres contes tout aussi merveilleux suivent dans ce recueil au titre éponyme.
Le deuxième conte, - La moustache impériale, - tiens ! encore une histoire de moustache, est empli de malice et le troisième, - Quand, qui, quoi, parle du sens de la vie avec toujours beaucoup de sagesse.
Mais ce sera l'occasion pour moi de revenir dans la classe de Sandrine...
Vous l'aurez sans doute compris par mon propos, ce livre qui est paru dans une collection jeunesse, a une portée universelle.
Commenter  J’apprécie          54126



Ont apprécié cette critique (52)voir plus




{* *}