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Critique de lafilledepassage


Florence, 1348, la grande peste qui frappe l'Italie, éclate dans la cité toscane. Dix jeunes gens, sept jeunes filles et trois jeunes hommes, décident de s'éloigner de la ville pour se protéger de l'épidémie pendant une dizaine de jours …

Imaginez un tel « confinement » (certes sans Babelio et sans podcast): promenade matinale dans les jardins attenant aux palais toscans d'une merveilleuse beauté, traversés de spacieuses allées fleuries alors où se répand « une telle senteur, que mêlée à celle des diverses essences qui embaumaient par leur jardin, il leur semblait être parmi tous les aromates qui naquirent jamais en Orient.», où l'on boit de tout son soul aux claires fontaines. Ensuite, bonne bouffe (on est en Italie, quand même) et … histoires.

Des histoires, tantôt coquines (près de la moitié à en croire la très belle préface de Pierre Laurens), tantôt teintées de sagesse, où l'on se moque des maris jaloux ou avares ou mous de la courgette, où les religieux sont ridicules et le simple palefrenier amoureux de la reine peut en espérer les faveurs … Des histoires qui nous viennent de l'Antiquité, de l'Inde ou de Chine, ou encore de la culture juive (liste non exhaustive), et qui ont inspiré La Fontaine, Marguerite de Navarre et Christine de Pisan entre autres.

Boccace est résolument moderne et écrit l'une des premières oeuvres de la Renaissance, en parlant des hommes et des femmes de toutes les couches sociales, avec au premier plan la bourgeoisie active. Tour à tour, un roi ou une reine, est désigné et sera le maitre de la journée, en toute égalité, ébauche de démocratie participative ….

Il s'émancipe aussi de l'Eglise et se moque joyeusement des religieux, « archisots pour la plupart, [qui] ont d'étranges manières et de curieuses coutumes : ils croient l'emporter sur quiconque en tout point par leur valeur et leur savoir, alors qu'ils sont fort au-dessous des autres, vu qu'ils ont l'âme assez veule pour ne pas avoir, à la différence du reste des gens, la possibilité d'assurer leur subsistance, et qu'ils cherchent asile là où ils trouvent de quoi manger, tels des pourceaux. »

En outre, bien loin de considérer la peste comme une punition divine, Boccace y voit l'occasion de restaurer un ordre humain, avant tout ordre du discours, qui sera celui de la Renaissance. J'ai noté le blasphématoire « C'est dans la joie qu'il nous faut vivre, aussi bien c'est la seule raison qui nous ait fait fuir les tristesses de la ville. »

Et puis et surtout il reconnait aux femmes, comme aux hommes, le droit au plaisir (même si dans certains passages il reste quand même assez macho..). Ainsi que faire d'un désir un peu trop obsédant quand monsieur s'est servi, « qu'il a toujours eu jouissance de moi au gré de son désir et à sa guise, que devais-je faire, que dois-je faire du surplus ? Dois-je le jeter aux chiens ? Ne vaut-il pas mieux de beaucoup l'offrir à un gentilhomme qui m'aime plus que sa vie, au lieu de le laisser perdre ou se gâter ? ». Et comment refuser à sa fille de profiter de la vie quand « ses sens brûlent d'un feu merveilleusement alimenté par la connaissance, qu'elle doit à son premier mariage, et du plaisir qu'engendre la satisfaction du désir. Brûlant de ce feu qu'elle ne peut éteindre, elle a décidé, car elle est jeune et femme, de se laisser entraîner jusqu'où la menait cette ardeur … »

La langue est magnifique, bien sûr, non dénouée elle aussi de grivoiserie et légèreté comme cette réplique « Quant à ceux qui ne cessent de m'imputer mon âge, ils semblent ignorer que le poireau, quoiqu'il ait la tête blanche, n'en a pas moins la queue verte. »

Un tel confinement, dans cet endroit paradisiaque qu'est la campagne florentine, et en si belle compagnie, moi, je signe tout de suite.
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