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Critique de jvermeer


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Mon ami, Henri Fantin-Latour, un des copistes du Louvre, me présenta Edouard Manet un jour de l'hiver 1868 alors que j'étais occupée à peindre dans la Galerie Médicis au Louvre les formes sensuelles des robustes flamandes figurant au premier plan du « Débarquement de Marie Médicis à Marseille » de Rubens. J'avais déjà 27 ans et la peinture était ma vie depuis une petite dizaine d'années. Je peignais des paysages sous les conseils du maître Camille Corot. Mon admission pour la première fois au Salon officiel de1864 avec deux paysages des bords de l'Oise fut un grand jour pour moi.

Troublée par le charme qui se dégageait du dandy Edouard Manet j'avais écouté révérencieusement ses quelques conseils distraits de maître à élève. Je n'arrivais pas à croire que j'avais devant moi le peintre qui révolutionnait régulièrement le Salon depuis ses scandaleux « Déjeuner sur l'herbe » et « Olympia ». « Il faudra que l'on se revoie mademoiselle » m'avait-il dit avant de repartir d'un pas rapide. Edouard Manet n'avait pas été sans remarquer le charme de la jeune femme, son regard sombre et son teint pâle qui s'accorderait si bien avec sa couleur préférée : le noir.

Rapidement, Edouard me demanda de poser pour lui. L'année suivante, en 1869, il m'installa au premier plan du « Balcon » engoncée dans une robe en mousseline blanche, le regard perdu dans une rêverie intérieure. J'allais devenir son modèle préféré. Il m'appelait « la beauté du diable » et me peignait constamment, trouvant toujours de nouveaux angles pour me croquer : allongée sur un canapé, en tenue de soirée noire, le visage caché par un éventail ou une voilette… Mon tableau préféré, et le plus beau qu'il ait fait de moi « Portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes », était un chef-d'oeuvre à mes yeux : dans un contre-jour, quelques mèches de cheveux fous sous un chapeau noir, une expression lointaine se découpant entre ombre et lumière. Un bouquet de violette accroché à mon corsage se perdait dans le noir de la robe. Les noirs de Manet… Des noirs puissants comme ceux de Vélasquez et Goya…
Je prenais du plaisir dans notre intimité amicale avec Edouard qui m'inspirait une grande affection. Je l'admirais. J'aimais mes longues séances de pose en tête à tête avec lui et les odeurs de peinture de son atelier se mêlant aux parfums d'autres femmes venant poser pour ce grand séducteur.

Le vrai début de ma carrière commença l'année 1874 où Edouard me peignit pour la dernière fois avec un éventail et une alliance au doigt. J'étais devenue sa belle-soeur par mon mariage avec son frère Eugène Manet. Au printemps j'avais participé à la première exposition du groupe des futurs impressionnistes chez Nadar à Paris. J'étais la seule femme et tous ces hommes m'intimidaient. Ils me respectaient comme peintre car nous parlions le même langage. Ils étaient l'avenir de la peinture : Monet, Pissarro, Sisley, Degas, Renoir, Cézanne, Guillaumin.
Une charmante toile de Claude Monet avec un gros soleil rouge s'infiltrant au milieu des brumes et se reflétant dans l'eau fut appelée par Monet « Impression, soleil levant ». Un critique se moqua et titra « L'exposition des impressionnistes ». Nous étions catalogués : « impressionnistes ». Mon « Berceau » fut remarqué.
Malgré mon indépendance, je serai de toutes les expositions du groupe des impressionnistes jusqu'à la dernière en 1886. Ma palette s'éclaircissait, mes toiles présentaient une impression d'inachevé. Je réalisais l'oeuvre nouvelle et singulière que j'avais toujours souhaité obtenir.

Berthe Morisot était une passionnée et son art lui interdisait toute facilité. Dès le début des années 1880, elle recevra les éloges des critiques et amateurs influents qui reconnaitront son originalité : « son pinceau effleure la toile de traits vifs, spontanés ». « Elle est l'impressionnisme par excellence … disaient certains. Son ami Stéphane Mallarmé lui fit ce beau compliment : « C'est peut-être la plus délicate des peintres impressionnistes ».
Installés au milieu de ses amis peintres, elle apportait une touche de charme, de distinction qui faisait son originalité. Dans son « Salon » de 1877, la vision d'Emile Zola était la bonne : « Ils peignent le plein air, révolution dont les conséquences seront immenses. Ils ont des colorations blondes, une harmonie de tons extraordinaires, une originalité d'aspect très grand. D'ailleurs, ils ont chacun un tempérament très différent et très accentué. »
Jusqu'à son décès en 1895, à seulement 54 ans, la vie de Berthe s'écoulera lentement, heureuse, entre ses trois amours : la peinture, son mari Eugène Manet et la petite Julie, sa fille, qu'elle ne cessait de peindre.

J'ai lu l'excellent livre de l'académicienne Dominique Bona comme un roman. Celui-ci m'a inspiré cette présentation sur le ton de la fiction.
Le secret de la femme en noir Berthe Morisot, celui de cette femme peintre d'un immense talent, ne serait-il pas la modeste ambition de sa vie d'artiste : « Fixer quelque chose de ce qui passe ».
Il s'agit de la meilleure des biographies sur Berthe Morisot qui recevra en 2000 le Goncourt de la biographie.

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