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Critique de berni_29


Héritage, refermant ce roman éblouissant qui m'a à la fois enchanté et transpercé de douleurs, je me suis demandé un instant, un seul instant, ce que je pouvais emporter dans la fulgurance des pages, si demain je partais sur une île déserte non pas avec ce livre, mais avec ma seule mémoire. Ce que je retiendrais en refermant les dernières pages, - mais est-on capable de refermer à jamais un livre qu'on a aimé, un tel livre... ?
Alors, laissons un peu les pages vibrer dans le feuillage du vent ou du moins celui de mon imaginaire.
C'est l'histoire d'une volière pleine d'oiseaux multiples. Elle traverse le livre et ceux qui ont lu le roman comprendront cela car je ne dévoilerai pas la fin du récit dans lequel cette volière y participe.
Héritage est un voyage, un exil, l'idée d'un homme du Jura, précisément de Lons-le-Saunier, quittant ses vignes meurtries, rongées par la phylloxéra, décide le rêve américain avec un pied de vigne dans une poche et un peu d'argent dans l'autre. Par déformation comme souvent, à l'arrivée à Santiago du Chili, son nom deviendra Lonsonier...
Dans la trajectoire de ce roman, l'écrivain Miguel Bonnefoy nous transporte sur un siècle de rêves et de tragédies, de France en Chili avec des allers-retours vers l'Europe, en particulier en situation de guerre. Ces guerres, nous le savons, ne seront qu'au nombre de deux, c'est déjà trop...
C'est une famille, une génération, puis deux, puis trois...
Des oiseaux dans des cages traversent aussi l'océan. Ils forment un univers sur place au Chili, s'épanouissent, se reproduisent, font des petits, rencontrent des maladies qui les fragilisent, survivent, sont heureux dans ce jardin... C'est comme un paradis... Puis vient la dictature chilienne...
Une femme, Margot, dans cette flamboyante génération, m'a touché, c'est le personnage qui m'a le plus touché ici. Voulant devenir aviatrice et le devenant, je me suis demandé si son rêve d'envol, dans l'apprentissage magnifique et totalement bancal de cette première tentative, dans les ciels sereins puis bombardés par la foudre et la guerre, était venu de ce regard éperdu vers les oiseaux, à force de les regarder dans leurs cages et dans leurs ailes...
Ici j'ai lu et j'ai vu à travers les mots qui parlent, comme des images, l'exil, le déracinement. Quelle force peut donner envie de partir ailleurs dans cet inconnu ? L'ailleurs et l'inconnu sont des mythes merveilleux de l'imaginaire littéraire, mais qu'en est-il dans la réalité ?
Parfois, un sentiment, une sensation, quelque chose est venu me donner une note presque fantastique. C'est le charme du roman qui m'a rappelé Cent ans de solitude.
Miguel Bonnefoy nous parle de la réalité quand il parle du bonheur d'une famille réunie, du déchirement quand l'un des membres de cette famille s'éloigne ou disparaît, quand le malheur vient de plus loin... Les mots de cet auteur sont à chaque fois beau, juste, essentiel... Mais j'ai aimé aussi voir des personnages transgresser...
Lorsque la dictature des militaires chiliens vient, la mort du Président Allende avec le soutien implicite des États-Unis, nous assistons à cette sidération. Nous le savions déjà et nous le découvrons dans cette lignée des Lonsonier... Je vous épargne la suite...
L'Héritage est un pont, une passerelle, un livre essentiel donc. Un livre qui nous donne un bonheur en délivrance, celui de le lire tout d'abord, d'ouvrir ou pas selon notre volonté, des portes... de souffrir aussi...
Difficile d'en parler davantage. Sauf à travers les oiseaux, leurs envols, ou l'envol qui ne peut se faire, sauf à travers les pages de ce roman qui ressemblent aux ailes meurtries de ces oiseaux, dont les traces sanglantes deviennent des mots...
Je referme le livre et je me demande dans les cris que j'entends encore si ce sont des cris d'oiseaux que j'entends ou le chant des martyrs de la dictature chilienne dans les stades ou dans leurs geôles obscures.
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