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Critique de Musa_aka_Cthulie


C'est l'histoire de deux amis, Escarbille et Chaboudo, qui se promènent dans un improbable désert où se trouve une chaise bleue. Chaise pour laquelle ils imaginent de nombreux et divers usages, qui n'ont pas grand-chose à voir avec le fait de s'asseoir dessus. Mais voilà, une chaise, c'est justement fait pour s'asseoir dessus.

La belle idée de Claude Boujon, c'est d'avoir inventé un décor désertique, probablement fait de sable, avec un horizon très abaissé et juste une petite bande bleue au fond, dont on ne sait pas s'il s'agit du ciel ou de la mer - et pourquoi pas les deux à la fois ? Un bleu qui se retrouve dans cette petite chose minuscule, perdue, inatteignable, qu'on aperçoit tout d'abord de si loin qu'elle n'a pas de forme, et dont on ne saura que c'est une chaise que lorsqu'Escarbille et Chaboudo s'en seront suffisamment approchés. Ce qui amène l'histoire à se dérouler dans un paysage aux accents oniriques, qui peut rappeler certains tableaux étranges (on peut penser à certaines toutes petites toiles de Dalí, par exemple). C'est tout simple, avec à l'appui un graphisme très sobre, mais ça révèle une composition très maîtrisée du dessin, l'air de rien. Et ce n'est pas pour rien que les pages d'ouverture et de fin se répondent.

Partant de là, je m'attendais à ce que les jeux d'Escarbille et Chaboudo se révèlent un peu moins terre à terre et plus originaux que ceux qu'ils inventent, assez formatés. Mais c'est un fait qu'ils m'ont rappelé des jours lointains, où la minuscule véranda de ma grand-mère devenait un engin capable de se transformer en avion ou en toutes sortes d'engins de transport plus ou moins bizarres, où le lit de ma tante et de mon oncle était un radeau au milieu d'une mer hostile (la moquette bleue de la chambre), dans laquelle mes cousines et moi ne manquions pas de tomber invariablement et dont nous devions nous extirper pour échapper aux requins. Je pense aussi à mon neveu qui avait transformé un petit pont de parc pour enfants en bateau et me demandait d'effectuer des choix délicats et décisifs, en me demandant systématiquement "Commandant-toi-qui-sais-tout, sur quel bouton je dois appuyer maintenant ?" - les boutons étant des rivets. Je me trompais à tous les coups, provoquant des catastrophes que mon capitaine rattrapait in extremis, mais j'adore toujours me faire appeler "Commandant-toi-qui-sais-tout"... Chaboudo et Escarbille se comportent comme beaucoup d'enfants, en détournant de son usage un objet destiné à une fonction particulière pour le métamorphoser en matière à divertissement. Et le détournement d'objet, c'est un concept en analyse du travail, qui possède un nom scientifique - nom qui m'échappe complètement -, et dont il est bien dommage que Chaboudo et Escarbille ne connaissent pas l'existence (d'autant que ça plairait bien à Chaboudo, féru de vocabulaire précis), parce que ça leur permettrait de clouer le bec aux importuns qui leur disent qu'une chaise, c'est fait pour s'asseoir et rien d'autre (n'importe quoi!!!)

J'ai lu la critique de jamiK, qui voit dans cette histoire une référence au théâtre de l'absurde. Je n'y ai pas du tout pensé en lisant l'album, mais maintenant que j'y réfléchis... Un décor qui ressemble un peu à une scène de théâtre dépouillée, une chaise sortie de nulle part, des noms de personnages qui peuvent rappeler ceux de Vladimir et Estragon... Il y a peut-être bien de ça !

J'ai eu aussi l'impression que Nadine Brun-Cosme et Olivier Tallec, avec le graphisme des personnage de Grand Loup et Petit Loup, ou encore les décors oniriques de Moi devant, avaient pu s'inspirer de cet album. Voici en tout cas un plaidoyer pour laisser l'imagination des enfants s'épanouir, peut-être pas aussi beau que Le jardin invisible, qui est devenu ma référence en la matière, mais qui prend la forme d'un joli album, en sus très utile en ces temps de matérialisme forcené.
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