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Critique de Krout


Je me retrouve nu, couvert d'un simple "pagne", deux rectangles de peau de loutre tannée attachés à une lanière de cuir, au milieu des érables, des chênes et des hêtres, à portée de l'orignal. Le vent est mon allié, il souffle contre moi, je sais que c'est pour m'aider. Chaussé de mocassins, qui me permettent de m'approcher encore plus près sans bruit je lui décoche une seule flèche, j'entends son sifflement, déjà elle lui perce le cou, un peu de sang, le voilà qui fléchit et s'affaisse dans un dernier râle. Je sors mon couteau mais avant de le dépecer, je me penche et chuchote à l'oreille de l'animal, je le réconforte, le remercie du don qu'il fait à notre clan, l'assure que rien ne sera perdu, nous prendrons soin du moindre tendon. Aujourd'hui je suis très fier, je me dépêche d'embarquer le plus de morceaux sur ma pirogue, c'est à peine si elle dépasse encore de l'eau, je me résous à mettre le reste bien à l'abri sous les fougères. Moi aussi je serai un grand chasseur, pas aussi bon que Xavier qui m'a tout appris, si il savait comme je l'admire, comme je vénère l'amitié qu'il m'a offerte ; encore aujourd'hui, je me demande pourquoi il est venu me chercher, pourquoi il m'a choisi. Ce soir je vais en faire un maximum à la veillée j'aimerais tant que Xavier soit fier de l'exploit que je lui dois, le taquiner c'est ma façon de lui prouver mon admiration, autrement je suis trop gêné. Ma légende s'ajoutera aux légendes de la tribu que l'on raconte de générations et de générations. Je m'appelle Elijah Wiskeyjack tout ce que je sais de la sagesse des Crees, je le dois à Xavier Bird et sa tante Niska. Mais Niska dit que nous sommes les trois derniers ! Alors pour ma légende, je pourrai seulement devenir le plus grand des guerriers.

C'est le funeste cri du Cree qui s'évanouit dans la nuit... des temps. Je suis mort à la guerre à 23 ans en demandant pourquoi ? Pourquoi ? Xavier, pourquoi es-tu venu me chercher ? Je n'ai pas su être l'ami que tu méritais. Pourquoi t'ai-je entraîné dans cette folie : la guerre dans les tranchées ? La guerre de ceux qui nous ont détruits, qui ont détruit notre peuple, qui ont brisé l'harmonie. Ils ont brisé les cercles et ce sont des fous qui se prétendent maintenant être le centre de la création. Ils prétendent nous apporter la Religion et la Civilisation, deux de leur mots pour cacher Abomination !!! Ils ne savent pas mettre leur oreille pour écouter la terre, ils ne savent pas entourer les arbres de leurs bras pour entendre la vie de leurs ancêtres, ils ne savent pas danser et chanter pour faire vibrer les nuages... Ce n'est pas ce que je rêvais. Ô Xavier, les Crees, mon ami, se sont envolés. Avec eux a disparu cette vibration, ce respect de la vie. Un génocide, et des mieux réussis, dont on ne parle jamais. Un continent éradiqué, une manière de vivre hommes, bêtes et plantes à égalité, en complémentarité, anéantie ... à jamais.

Je ne sais pas pourquoi je prétends être Elijah, est-ce d'avoir lu Corentin chez les peaux-rouges de Paul Cuvelier, tout jeune ? Est-ce le grand Manitou qui influence mon esprit ? J'aurais pu te dire que mon nom était Xavier Bird, il est revenu de cette boucherie de Vimy, des tranchées de la Somme, on dit qu'il a survécu, moi je te dis qu'il n'y a pas de différence, il est mort à 23 ans, lui aussi. le meilleur de lui-même lui a été enlevé... par la guerre. Eh, je ne parle pas de sa jambe ! Je parle de cette chose qui s'est perdue en chemin. C'est à devenir fou ! La folie, le seul moyen d'échapper à la guerre, vaincre le mal par le mal ? Dis cela marche, docteur ??? Allez, soyons fous ! J'enlève le "pagne" : me voici nu devant vous. Je croyais en l'amitié indéfectible, je suis ... Bon, faire attention à mes couilles sur le clavier. Les couilles que je n'aurais vraisemblablement pas eues pour charger hors des tranchées. Encore moins me porter volontaire pour des sorties de nuit dans le no man's land. J'ai honte mais je me serais probablement débrouillé pour être au moins capitaine où choisir l'aviation, sûrement pas l'infanterie. Le combat corps à corps, à mon premier mort, je serais devenu fou, j'aurais commencé à aimer cela. Et j'en aurais voulu encore et encore, c'est de cela dont j'ai honte et de cela dont j'ai peur, je regarde mes mains: elles tremblent. Voilà pourquoi je t'ai dis m'appeler Elijah. Par peur je chierais dans mon froc, pfff .... heureusement que je me suis mis à poil.^^

La guerre est une saloperie finie. Une folie collective manipulée par quelques uns. La der des der, mon cul ! Et je reste poli. Que puis-je faire ? Je chante comme une casserole, alors même d'amour pour faire taire un tambour ! Tu rigoles où quoi ? Il reste l'humour pour masquer le manque d'amour. Alors je vais te raconter l'histoire d'un mec qui est mort, il y a juste 30 ans ... et un jour. Ce mec tu l'aurais pris pour un comique, il avait écrit un jeu de mots en forme d'aphorisme qui s'applique bien à la guerre, et ce qu'il valait naguère il le vaut encore aujourd'hui : " L'horreur est humaine." Alors je ne saurais pas mieux dire. Il disait aussi dans un sketch sur les anciens combattants : " On lui a crevé les deux yeux, pour qu'il voit pas sa misère."
Un jour ce mec est arrivé à la TV avec une guitare, et moi j'ai bien vu qu'il se mettait à nu pour chanter :

"Misère, misère !
C'est toujours sur les pauvres gens
Que tu t'acharnes obstinément
Misère, misère !
ça sera donc toujours les salauds qui nous bouff'ront
L'caviar sur l'dos
Misère, misère !

Tu te fais l'ennemie des petits
Tu te fais l'alliée des pourris
L'argent ne fait pas le bonheur des pauvres
Ce qui est la moindre des choses
Convenons-en
Convenons-en !"

Ni la chanson, ni l'humour n'y feront rien. L'Europe nous a protégé pendant 70 ans, souvenons-nous en, souvenons-nous en. Je suis profondément heureux que l'auteur aie choisi comme titre le chemin des âmes et non des ânes ou le sentier de la guerre pour ce roman émouvant qui est une ode à l'amitié. L'amitié qu'à 22 ans, je croyais encore indéfectible. Pourquoi ...
Magnifique et poignant, je le recommande chaudement ce chemin des âmes.
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