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Critique de DETHYREPatricia


Pas étonnant pour moi qui m'intéresse aux récits de vies et aux témoignages, d'avoir été sur le chemin de ce livre qui évoque l'histoire vraie et étonnante de cette jeune irlandaise de seize ans (Nuala, prénom changé) vendue par son père à un homme de quarante ans son aîné, pour 2000 livres et un véhicule d'occasion, telle une vache à un fermier !

Le plus étonnant, ce n'est pas, en soi, l'acte de vente car L Histoire nous a montré qu'il s'agissait d'une pratique courante. le plus étonnant, c'est qu'il s'agisse d'une histoire s'étant déroulée au XXe siècle (dans les années soixante-dix) et pas, comme on pourrait le penser, au XIXe ou au XVIIIe siècle !

on se demande d'emblée comment cela a été possible ? Pourquoi cette adolescente ne s'est pas d'emblée rebellée ? Pourquoi la mère de cette enfant ne s'est pas opposée, ni ses frères ? Pourquoi l'église ayant pratiqué le mariage a pu cautionner ? Pourquoi la police n'a jamais voulu donner suite au signalement fait par l'intéressée ?

Et puis, très vite, on se rend compte que quelle que soit l'époque, il s'agit encore et toujours de la sempiternelle domination des hommes sur les femmes. Des femmes ignorées et souvent ignorantes, battues et bafouées à longueur de journée, et sous totale emprise (fille/père, épouse/mari), incapables d'agir pour défendre leurs intérêts élémentaires. Et ce, malgré la modernité à laquelle semblait avoir accès Nuala. Et ce, avec l'assentiment de tous ceux qui savent (la famille, les voisins, les institutions et l'église) et qui ne disent rien.

Je pensais qu'il s'agissait d'un témoignage, mais en fait, il s'agit du récit, par un narrateur omniscient, d'une histoire vécue. On le sait dès le début, ce narrateur est Sean Boyne, rédacteur en chef du service politique du Sunday Word (l'un des principaux journaux irlandais). Au milieu des années soixante-dix, il avait écrit un article sur le mariage de Nuala. Deux décennies plus tard, c'est cette dernière qui l'a contacté pour lui demander de l'aide à rédiger son histoire.

De mon point de vue, cela rend le récit beaucoup moins sensible que s'il avait été raconté directement par l'intéressée (1, parce que c'est un homme et 2, parce que c'est un journaliste). On sent bien, derrière le style qui s'attache aux faits (et beaucoup moins à l'émotionnel), une prise de recul professionnelle qui transpire dans le ton général de l'ouvrage. Peut-être une froideur rendue nécessaire aussi pour mieux mettre en avant le caractère glaçant de tels actes ?

Mais, il n'en reste pas moins que cette histoire a existé et que les faits évoqués sont proprement scandaleux dès lors qu'ils sont restés totalement impunis.

Je suis également convaincue de l'importance qu'il y avait pour l'intéressée (devenue mère et sans doute à ce jour grand-mère... le livre a été publié la première fois en 1998) de parvenir à coucher sur le papier ce vécu si douloureux qui a été le sien. Même si l'on n'écrit pas soi-même, il y a un réel pouvoir cathartique à se raconter, puis à se retrouver dans la parole qui a été écrite par l'autre. Une forme de reconnaissance. Je ne doute pas que cette histoire a été constitutive de l'identité de cette jeune femme. La faire connaître au plus grand nombre, est une façon pour elle d'une part d'alerter l'opinion sur la nécessité de rester vigilants face à de telles dérives comportementales et d'autre part, de tourner la page tout en transmettant à sa descendance des informations précieuses sur ce qu'a été sa vie (afin de veiller que jamais cela ne se reproduise parmi ses descendants...).

En tant que femme, j'ai été meurtrie par ce récit, au plus profond de ma chair, de mon coeur et de mon esprit. En tant que militante de la cause des femmes, cela m'a mise en colère en constatant que bien qu'elle sût que sa situation n'était pas normale, l'intéressée n'a rien fait (ou trop tardivement) pour l'empêcher. En lisant, j'aurais eu envie de la secouer, de lui crier dessus pour qu'elle ouvre les yeux...

Je me dis que les jeunes filles d'aujourd'hui ont bien de la chance d'avoir pu bénéficier d'une réelle avancée sociétale leur reconnaissant quasiment les mêmes droits que les hommes (je dis quasiment, car on sait bien que la réalité n'est pas toujours encore aujourd'hui en adéquation avec la loi qui se veut égalitaire). Malgré tout, les choses ne sont pas encore totalement acquises, puisque l'on sait que dans l'intimité des foyers, lorsque la porte de chez soi est fermée, il peut y avoir encore des situations difficiles d'emprise ou de violence, quand celles-ci ne conduisent pas à un nombre toujours plus croissant de féminicides.



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