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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2014/2015, avec un scénario d'Ivan Brandon, des dessins, un encrage et une mise en couleurs de Nick Klein qui réalise également les couvertures.

Le vaisseau spatial d'Abram Pollux (commandant de bord) s'écrase sur la planète Ouro, pour une raison mal définie. Pollux en ressort vivant et reprend connaissance dans l'eau emberlificoté dans des câbles. Il réussit à regagner la surface et la rive. Alors qu'il gît sur le dos, un être bleu extraterrestre s'approche de lui. Pollux lui enfonce un éclat tranchant dans le cou.

Plus tard il reprend connaissance dans une ville de fortune habitée par des êtres humains, sur la même planète. Lee Carter l'informe qu'il est resté sans connaissance pendant plusieurs jours. Elle lui fait faire le tour de la ville, puis il est pris en main par le Prêtre Arkady qui l'emmène boire un coup dans le bar du coin. Enfin Abram Pollux part à la recherche de l'épave de son vaisseau spatial.

Ivan Brandon et Nick Klein avaient déjà collaboré sur la série Viking. Ils collaborent de nouveau pour une série de science-fiction. À l'évidence le récit se déroule dans le futur puisque les voyages spatiaux sont une réalité. le personnage principal se retrouve sur une planète frontière dont la population vivote en ramassant les excréments d'énormes vers de terre, qui constituent une source d'énergie. le lecteur découvre cet environnement en même temps que lui, en essayant d'ordonner les quelques pièces d'un puzzle dont il ne connaît par la forme générale. Cet exercice ne se révèle pas si facile que ça.

Ivan Brandon ne facilite pas le travail du lecteur. Il faut être bien concentré pour repérer les noms des personnages qui ne sont pas rappelés souvent et qui n'arrivent pas forcément dès leur première apparition. Il y a donc le commandant du vaisseau qui s'est écrasé, dont on ne connaît ni la provenance, ni la mission : Abram Pollux. Lee Carter fait office à la fois de docteur et de marshal dans la ville. le lecteur est rassuré de voir que Nick Klein a donné une apparence mémorisable à chaque personnage, aidant à les identifier, même quand ils portent une combinaison pour se protéger des conditions climatiques à l'extérieur de la ville. Il est facile de reconnaître le prêtre du fait de sa silhouette longiligne, il faut un peu de temps pour s'assurer qu'il s'appelle Arkady. Parmi la galerie de personnages, il convient encore de mentionner un mystérieux individu peu loquace appelé Bell Emmerich, et une jeune femme qui ressemble à une jeune fille prénommée Lima. le lecteur n'apprendra pas grand-chose de ces personnages, ni même de leur relation. Il ne découvre pas grand-chose non plus sur le personnage principal.

Malgré cette narration un peu cryptique, le lecteur se laisse emporter dans la narration grâce à la qualité des dessins. Lors de la séquence d'ouverture, la chute du vaisseau à travers l'atmosphère est spectaculaire. La créature bleue qui s'approche d'Abram Pollux présente une peau un peu dure, et un appendice caudal qui lui donne une apparence nuancée, malgré sa forme anthropoïde. En regardant la pièce où Pollux reprend connaissance, le lecteur constate un mélange de haute technologie et d'appareils portant l'usure du temps. La double page présentant la rue principale (peut-être l'unique rue de la ville, ou du campement) reproduit ce mélange de vieux et de neuf. La composition est saisissante, car son point de fuite se trouve au centre d'une arche circulaire monumentale à la fonction impossible à deviner.

Le lecteur est également séduit par la qualité des couleurs. Elles présentent une qualité européenne, à mi-chemin entre la peinture traditionnelle et l'infographie, apportant texture et volume, par le biais d'un subtil jeu de nuances. Elles rendent très bien compte de la lumière naturelle, et l'artiste opte pour des teintes moins attendues (violet, vert) pour les lumières artificielles. le lecteur s'immerge donc dans un univers pleinement réalisé, avec des ambiances lumineuses attestant d'un monde extraterrestre.

De séquence en séquence, le dépaysement attendu d'un univers de science-fiction est bien présent, avec une qualité adulte, sans simplification pour élargir le lectorat, ou du fait d'un dessinateur pressé ou pas assez expérimenté. La première scène de bar donne l'impression de pouvoir toucher le matériau de la table, d'être assourdi par le bruit des conversations, de devoir cligner des yeux pour s'assurer d'où on met les pieds. Alors qu'Abram Pollux et Lee Carter progressent vers l'épave du vaisseau spatial, le lecteur peut ressentir la chaleur de la lumière crépusculaire. Plus tard il ressent celle plus forte de cette zone désertique en plein jour.

Dans l'épisode 3, Ivan Brandon a conçu une scène ambitieuse alors qu'Abram Pollux se retrouve à intégrer une équipe explorant des tunnels de mines pour récupérer les déjections d'une sorte de ver géant. À nouveau, Nick Klein fait des merveilles pour installer une atmosphère légèrement oppressante, sombre tout en restant lisible. le lecteur assiste comme Abram au passage d'un de ces vers géants, très impressionnant. Plus tard, il voit surgir dans les tunnels des Wheelers (la race extraterrestre à la peau bleue), avec une allure saisissante dans cette pénombre.

Un peu plus tard, Pollux est convoqué par un Wheeler dans une salle au-dessus d'un bar (un autre). La séquence est baignée d'une lumière verdâtre, assez ténue, donnant une apparence singulière à ce Wheeler peu représentatif de sa race. le lecteur constate la morgue d'Abram Pollux bien décidé à ne pas s'en laisser compter, ni à se laisser impressionner. Il voit sa résolution vaciller en fonction de ce que lui dit son interlocuteur, alors qu'il doit lutter contre un malaise physique provoqué par la présence de cet extraterrestre.

L'artiste donne donc une consistance travaillée aux séquences imaginées par le scénariste. le lecteur s'appuie sur ces détails, sur ces matières pour s'orienter dans le récit. D'une scène à l'autre, il peut se sentir perdu, comme si la narration oscillait entre puzzle à recomposer et onirisme. Il n'est pas toujours possible d'établir les liens de cause à effet. L'auteur s'ingénie à déstabiliser le lecteur en ne lui donnant pas tous les repères. Il est compréhensible que la reprise de conscience d'Abram Pollux (après le crash) s'accompagne d'une désorientation totale, du fait de l'environnement d'une planète inconnue. Par contre, il est évident que le scénariste joue avec le lecteur quand l'infirmière indique à Pollux qu'il est resté dans connaissance pendant trois jours, puis qu'il découvre que son vaisseau s'est écrasé il y a à peu près un an. L'auteur ne fournit aucune explication sur ce décalage temporel. Mystère.

De la même manière, le lecteur ne saura pas dans ce tome comme est organisée la société des Wheelers. Mystère. Pourquoi Lima ressemble à une petite fille ? Mystère. Quelle mouche a piqué le prêtre Arkady pour qu'il ait un comportement aussi violent ? Mystère. Qu'est-ce que vient faire Bell Emmerich dans cette histoire ? Mystère. Pourquoi les agresseurs successifs du commandant Pollux le laissent en vie ? Mystère. Dans la mesure où il manque beaucoup de liens de cause à effet, le lecteur finit par ressentir l'arbitraire dans la succession des séquences. Il y a le risque qu'il s'en désintéresse, assez faible quand même du fait de la qualité de la narration visuelle de Nick Klein. Il y a la possibilité qu'il finisse ce tome exaspéré par une intrigue décousue pour le moment, et donc un peu vaine. Il peut aussi souhaiter revenir pour le deuxième tome pour la saveur de la narration, capable d'accoler des moments de torture à cet inconnu insondable que représentent cette petite ville et ses habitants. Il est fort probable qu'il soit sous le charme de cet environnement pleinement réalisé, de ces personnages mystérieux, de ces comportements mystérieux, et de ces extraterrestres mystérieux. 4 étoiles.

Le tome termine avec la reproduction des couvertures variantes, réalisées par Esad Ribic, Cliff Chiang (* 2), Jason Latour, Becky Cloonan, Marco Djurdjevic (un superbe portrait du prêtre Arkady), Rafael Albuquerque, et Skottie Young (avec un sens de l'humour toujours aussi pertinent).
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