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Critique de Eve-Yeshe


L'auteure nous prévient : elle a créé une oeuvre imaginaire sans lien avec la réalité ! Et pourtant ce récit va nous transporter…

Au centre de l'histoire, on a une sculpture de Constantin Brancusi, « le Baiser », que l'artiste a sculptée en 1910, pour la placer au cimetière Montparnasse, sur la tombe de Tatiana Rachewskaïa, jeune aristocrate russe, née à Kiev le 6 avril 1887, en exil à Paris, qui s'est tragiquement suicidée.

Le récit alterne d'un côté le journal de Tatiana, alias Tania, ses études de médecine, son travail avec un médecin roumain qui la présente à Brancusi, dont elle devient le modèle, et dont elle tombe amoureuse et de l'autre, en 2017, l'histoire d'une avocate, Camille Ravani, bien intégrée dans un cabinet très côté, où elle gagne bien sa vie, quitte à perdre de vue l'essentiel. Son voisin, directeur des cimetières de la Ville de Paris, lui demande de s'intéresser à une sculpture, qu'un acquéreur récent de la tombe veut desceller, car Brancusi a la côte… Des millions sont en jeu…

Tania a suivi la révolte des ouvriers, des paysans, en 1905. Elle a participé à la manifestation de janvier 1905, le tristement fameux dimanche rouge, où la troupe a chargé, et un homme s'est écroulé devant elle pour mourir entre ses bras. Sa mère a préféré l'envoyer à Paris, car elle était trop proche des idées révolutionnaires, alors que toute sa famille voue un culte sans faille au Tsar, Nicolas II, représentant de Dieu sur terre !

« Maman savait très bien que cette tante venimeuse me chaperonnerait de près lorsqu'elle m'a expédiée à Paris. »

Tania s'intéresse aux droits de la femme, aux féministes de l'époque, aux ouvriers qui souffrent, dans des conditions inhumaines. Sa tante, chaperon rigide qui la met pratiquement sous clef, veut lui trouver un mari, car le destin d'une jeune aristocrate est fixé d'avance : un beau mariage, puis tenir la maison, s'occuper des enfants… Très loin donc des aspirations de la jeune femme.

Tania va donc mentir, pour rencontrer ses amis russes de la faculté, son amie Marthe, ou Brancusi qui lui, est marié avec son art. Y a-t-il vraiment une place pour elle dans la vie de cet homme ? Est-il amoureux d'elle ou la considère-t-il seulement comme sa muse?

Camille, dont le vrai prénom est Venus (on imagine les moqueries à l'école !), a un travail, elle est indépendante financièrement, mais seule, et tient son corps à distance, avec ses tenues austères, et son éternelle queue de cheval. Ce dossier va lui faire prendre conscience de ce qu'elle veut vraiment. En 2017, elle n'est guère plus libre que Tania, ce ne sont pas les mêmes verrous, ils sont plus psychologiques, mais leurs histoires se répondent.

Elle ne va pas hésiter, prendre des jours de congés, (choquant dans ce cabinet où l'on ne pense qu'au travail!) pour aller visiter, le cimetière, rencontrer les personnes qu'il faut au Ministère, se rendre au Maroc ou en Roumanie à la recherche de ceux qui veulent récupérer à tout prix cette sculpture…

Brancusi ne nous apparaît pas sous son meilleur jour, il vit pour son art, est marié à la sculpture, et n'a pas forcément envie d'être adulte, alors qu'il est plus âgé que Tania. On rencontre ses amis, le Douanier Rousseau, Matisse, Erik Satie, Modigliani, Man Ray, Soutine, entre autres, le milieu artistique de ce début de XXe siècle qui est passionnant, foisonnant d'idées.

J'aime assez son travail, même s'il n'est pas un de mes artistes préférés. J'aurais bien aimé aller voir cette sculpture sur la tombe de Tania, mais elle est entièrement recouverte, inaccessible au passant, car il y a vraiment un litige à son sujet : Brancusi a légué son oeuvre à la France, ce qui n'est pas du goût de la Roumanie…

Sophie Brocas évoque aussi l'art, en lui-même : à qui appartient une sculpture ? doit-on la protéger ? Qu'en est-il de la création ? Surtout quand elle tombe dans le domaine public ?

« Car l'oeuvre d'art, dès lors qu'elle est originale, est considérée comme le réceptacle, le tabernacle, le creuset de la personnalité de l'auteur. Cette parcelle créatrice exprimée par l'artiste vient se ficher, s'abriter, s'encastrer dans l'oeuvre. Voilà pourquoi celle-ci mérite d'être protégée. »

Ce roman m'a beaucoup plu, car on baigne dans l'univers artistique, le statut de la femme alors qu'un siècle sépare Tania de Camille, la quête de la liberté. J'avoue une nette préférence pour Tania, car je retrouve en elle les destins de ces émigrés russes qui me plaisent tant, et surtout, elle me fait penser à Anna Karénine, le roman de Tolstoï que j'adore, dans ses questionnements, son choix de quitter un milieu sécurisant mais qui lui pèse.

Cerise sur le gâteau : Tolstoï est le grand-oncle de Tania, pestiféré, car sa famille ne lui pardonne pas ses idées, il est un traître à son milieu d'origine ! On note aussi dans la famille de Camille, un oncle artiste qui a refusé d'hériter de la ferme pour se consacrer à son art !

Bonne pioche encore avec ce roman découvert grâce à NetGalley et aux éditions Julliard !

#LeBaiser #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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