Je ne supporte pas les oeuvres pas finies, ce qui est le cas de cet album intitulé "La Naissance des dieux" !
Superbe illustration de couverture de Fred Vignaux, superbe introduction de Dim D, puis mise en scène d'un récit moyen par les dessins moyens de Federico Santagati et les couleurs moyennes de Scarlett Smulkowski... le plus important dans l'art séquentiel c'est le découpage, et force est de constater qu'ici le découpage est bon (chouette baston super-héroïque entre Zeus et une gorgone vampire !), mais on sent la BD pas finie ou finie à l'arrache... Il y a plein de cases typées comics sans aucun arrière-plan, l'encrage est gras, les couleurs sont lourdes, c'est truffé de crayonnés superfétatoires qui donnent un aspect terriblement brouillon à l'ensemble, sans parler de quelques casses carrément dégueulasses. Et que dire l'anatomie humaine qui est malmenée du début à la fin : Qu'est-ce c'est que cette Rhéa dont les seins gonflent ou dégonflent en fonction des scènes ? Qu'est-ce que c'est que toutes ces dissymétries faciales ou corporelles ? On dirait un comic dessiner avec les pieds !
Sur le fond je n'ai absolument rien sur le fait de montrer un Zeus adolescent, impétueux et coléreux. Bien au contraire, car derrière la titanomachie il y a un récit d'apprentissage, et derrière la quête de vengeance il y a la quête du Héros aux mille et un visages (le mentor magicien étant remplacé par une mentor magicienne ^^). Zeus doit libérer ses frères et soeur, trouver de alliés, trouver des armes, trouver des solutions militaires ou diplomatiques pour établir une ordre nouveau, son ordre nouveau... Sauf que dans certaines cases il pète la classe et que dans d'autres on dirait un gros clochard, voire le Joker du Batmanverse ! Il y aurait tellement à dire et à faire sur la théogonie, mais l'épisode Métis est raté, l'épisode Thémis est raté, et la team Zeus ressemble plus à des jets setters de télé-réalité qu'à des divinités rebelles... Il y aurait pu avoir un message avec un Zeus cherchant une 3e voie entre Ouranos qui délaisse ses enfants et Cronos qui les tyrannise, mais les conneries intellectualistes de Luc Ferry viennent tout gâcher... Il veut absolument faire de Zeus le garant de l'harmonie au ciel, d'Héraclès son shérif-adjoint le garant de l'harmonie sur terre, et d'Ulysse le garant de l'harmonie à Ithaque... Sauf que Zeus est un queutard égocentrique, Héraclès se démène entre exploits héroïques et crimes effroyables, et qu'Ulysse rentre tout seul de son odyssée pour tuer tout le monde avant de repartir à l'aventure et de tuer son fils... Pour un intellectuel qui déclare que la philosophie qui a abandonné la passion pour la raison est au-delà du Bien et du Mal, il y a bien un ordre moral derrière tout ce qu'il dit... Mais s'il a bien un message à tirer de la sagesse des mythes, c'est qu'en ce monde rien ne peut complètement moral car rien n'est absolument parfait, pas plus les hommes et les femmes que les dieux et les déesses qui les ont créés à leur image, c'est-à-dire cruels, jaloux et mesquins !
Dans de ce que je n'ose qualifier de cahier pédagogique Luc Ferry est comme d'habitude imbuvable, et réalise en plus l'exploit de réaliser un hors-sujet complet...
Sa grande idée c'est que le miracle grecque c'est la laïcisation et la rationalisation de la religion par la pensée philosophique, donc on est peu ou prou dans les Images d'Épinal des politiciens républicains : la démocratie moderne est fille de la démocratie antique, donc les valeurs modernes sont forcément les filles des valeurs antiques , quitte à multiplier les anachronismes gênants (c'est le drame de la téléologie)... C'est bien beau de distinguer Mythos et Logos, mais il aurait aussi fallu distinguer religio et superstitio car je n'ai pas connaissance d'une pensée laïque triomphante dans l'Antiquité : on fait des sacrifices aux dieux en toutes occasions longtemps après la naissance et le développement de cette prétendue pensée laïque antique... (Où est la sécularisation de la société quand Périclès parle d'éclipse et le reste de son expédition de signe divin néfaste, où est la sécularisation de la société quand l'agnostique Alcibiade est condamné pour sacrilège après avoir vandalisé des statues d'Hermès dans les rues d'Athènes sous l'emprise de l'alcool ! ) Pour Luc Ferry la philosophie est l'héritière de la religion dont elle perpétue la tradition entre rupture et continuité (bonjour le gros clichés !), dont elle aurait recyclé en les améliorant objectifs et méthodes. du coup sa seconde grande idée, c'est que l'employé contemporain devrait passer autant de temps à philosopher que les paysans médiévaux à prier : il oublie que tout le monde n'est pas comme lui un rentier privilégié qui peut faire ce qu'il veut de son temps forcément libre (dois-je mentionner ses emplois fictifs grassement rémunérés pendant qu'il faisait le beau dans les médias prestitués ?). Alors oui c'est vrai que la cosmogonie religieuse et la cosmogonie philosophique ont des points communs (quelles différences entre le Fiat Lux et le Big Bang ?), et oui c'est vrai que la métaphysique religieuse et la métaphysique philosophique ont des points communs (d'où viens-je ? qui suis-je ? où vais-je ? qu'y a-t-il après la mort ?). Mais à aucun instant il n'a envisagé que les deux pouvaient avoir évolué indépendamment l'une de l'autre en travaillant de manière différente sur les mêmes objets, au lieu de répéter inlassablement que l'une est forcément la fille de l'autre (Luc Ferry semble ne pas être au courant des travaux de Charles Darwin ^^). La religion donne une explication du monde en mystifiant et en sacralisant, la philosophie donne une explication du monde en démystifiant et en désacralisant : voilà comment rendre simple le compliqué en une seule phrase, ou lieu de rendre compliqué le simple dans un logorrhée alambiquée !
Ça ne fait que 2 pages donc l'honneur aurait pu être sauf, mais dans cet album il s'occupe en plus des encarts explicatifs donc il faut subir sa logorrhée 3 pages de plus, truffées d'intellectualismes abscons et d'insupportables contresens !
Dès le départ on tombe dans le grand n'importe quoi quand Luc Ferry considère que le spécialiste mondial de l'Antiquité Jean-Pierre Vernant n'est qu'un transmetteur de la pensée du grand philosophe Francis Cornford (qui pourtant n'a jamais été autre chose qu'un traducteur de lettres anciennes)... Et il réalise aussi l'exploit d'expliquer la naissance des dieux au prisme de la philosophie d'Heidegger : alors oui il y a opposition entre les forces du chaos et les forces de l'ordre, mais entre le règne « chaotique » de Cronos, considéré rétrospectivement comme un Âge d'Or, et le règne « harmonieux » de Zeus, considéré rétrospectivement comme un game of thrones permanent, il faut plisser les yeux pour voir l'amélioration ! Moi je suis un autodidacte complet qui a découvert la mythologie comparée en court de route, et pour moi c'est parfaitement clair que les théogonies successives sont quelque part une allégorie de l'évolution : à chaque génération, le pouvoir revient à des êtres moins primaux donc moins puissants, mais aussi plus polyvalents, plus intelligents et plus agissants / conscients : Chaos, Gaïa et Ouranos, les Titans, les Olympiens... Il n'y a rien de plus conservateur que la religion mais on voit déjà bien les évolutions qui ont lieu entre la religion grecque du IIe millénaire avant J.C. et celle du Ier millénaire avant J.C. avec l'apparition d'Aphrodite et Apollon dans le Panthéon. Et on voit bien ensuite qu'il y a des évolution vers vers une déesse-mère conservatrice (Cybèle puis Isis), et un dieu de lumière progressiste (Phoebus puis Mithra), que la mythologie chrétienne s'est empressé de phagocyter pour mettre en avant sous les figures Marie et de Jésus...
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