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Critique de YvesParis


Comme le rappelle Sylvie Brunel dans le premier chapitre de son stimulant ouvrage, plusieurs représentations de l'Afrique se chevauchent. La plus ancienne, qui remonte au brûlot prophétique de René Dumont (L'Afrique noire est mal partie, première édition 1962, réédition 2012, Seuil), est celle d'un continent misérable, lesté par les héritages de l'esclavage et de la colonisation, dévasté par les guerres civiles, les famines et les pandémies. A cette vision pessimiste s'est surimposée, sans totalement l'effacer, une vision plus optimiste : celle d'une Afrique émergente, qui connaît des taux de croissance insolents, où s'enracine une classe moyenne, où s'ancre la démocratie tandis que recule le spectre de la guerre … Cette vision a notamment été portée en France par Jean-Michel Sévérino (Le Temps de l'Afrique, Odile Jacob, 2010). Elle inspire désormais nos politiques publiques si l'on en croit les propositions du rapport Védrine-Zinsou (Un partenariat pour l'avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l'Afrique et la France, Fayard/Pluriel, 2014) ou celles des sénateurs Lorgeoux et Bockel (L'Afrique est notre avenir, Rapport d'information de la Commission des affaires étrangères, n° 104, Sénat, 2013-2014).
Avec une lucidité bienvenue, Sylvie Brunel tempère les excès de cette nouvelle bien-pensance. Si les Cassandre, tenants de l'afro-pessimisme, avaient tort de peindre l'Afrique en noir, les afro-optimistes se trompent en la peignant en rose : « Encenser l'Afrique paraît (…) aussi excessif que l'accablement dont elle était hier l'objet. L'engouement qu'elle suscite est tout aussi caricatural que l'était le catastrophisme à tous crins des quinze ans qui ont suivi la fin de la guerre froide (…) » (p. 12).
Pour commencer, les uns et les autres se trompent en conjuguant l'Afrique au singulier. « Parle de « l'Afrique » est aussi mensonger que réducteur : il existe bien des Afriques aux personnalités et aux trajectoires opposées » (p. 16). Comme Roland Pourtier (Afriques noires, Hachette, 2010), il faut conjuguer l'Afrique au pluriel et se départir ainsi du regard extérieur qui lui confère une unité fallacieuse.
C'est en ayant conscience de l'immense diversité du continent africain qu'on évite, avec Sylvie Brunel, les raccourcis simplificateurs. C'est ainsi par exemple qu'on ne se laissera emporter par un taux de croissance moyen. Sans doute le PIB africain a-t-il dans son ensemble connu une croissance annuelle de 5 % depuis une décennie alors que les économies occidentales peinaient à se relever de la crise financière de 2008. Mais ce taux moyen cache bien des disparités. Disparités d'un pays à l'autre, l'essentiel de la croissance étant captée par quelques pays littoraux, riches en matières premières, ouverts sur les grandes aires de la mondialisation alors que les pays enclavés de l'intérieur végètent encore dans la très grande pauvreté. Sylvie Brunel se fait géopoliticienne, qui montre que l'Afrique est mitée de maillons faibles. Chaque sous-région compte son trou noir : le « Djihadistan » au Sahel péniblement endigué par l'opération Serval, la Somalie dans la Corne de l'Afrique, les Kivus en Afrique centrale, le Zimbabwe en Afrique australe. Disparités à l'intérieur d'un même pays : nombreux sont les États africains qui enregistrent, selon l'expression de l'économiste ghanéen Georges Ayittey, une « croissance sans développement », qui bénéficie à une poignée de riches sans toucher une majorité de pauvres, voire de très pauvres. Cette croissance inégale condamne l'Afrique à rester « un continent riche peuplé de pauvres » (p. 15) : la moitié de la population y vit encore avec moins de 1.25 dollars par jour.
Sans doute l'Afrique est-elle sortie de ce que Sylvie Brunel qualifie de « décennie du chaos » (p. 68). Pour autant les hypothèques sont nombreuses sur la voie du développement. le catalogue qu'elle en dresse est classique : le défi de l'urbanisation, celui de l'alimentation – que l'auteur de l'excellent « Famines et politique », régulièrement réédité aux Presses de Sciences Po, connaît bien – la difficile acculturation de la démocratie, la transition vers un mix énergétique moins gourmand en énergies non renouvelables grâce à l'exploitation des rentes bleue (l'hydroélectricité) et jaune (l'énergie solaire), la fragile émergence d'une classe moyenne …
Un exemple illustre à l'envi les erreurs de perspectives que l'Afrique inspire : le Rwanda dont on vante volontiers la stabilité retrouvée depuis le génocide de 1994. Son PIB par habitant a certes été multiplié par trois en vingt ans. Mais avec 700 dollars, il reste parmi les plus bas au monde. Sans parler du bilan ô combien polémique du régime Kagamé dans le domaine des droits de l'homme et de l'État de droit.
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