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Critique de Cannetille


La Tour est parmi celles qui se dressent sur la dalle des Olympiades, l'un des quartiers asiatiques de Paris, dans le treizième arrondissement. Mille destins s'y côtoient, dans un caléidoscope dont le raccourci « Chinatown » ne donne qu'un très approximatif aperçu. Y habitent ainsi les Truong, boat people échoués ici après leur fuite du Vietnam à la chute de Saigon ; Ileana, pianiste devenue nounou de petits Parisiens dans l'espoir d'offrir un avenir à sa fille restée en Roumanie ; Virgile, sans-papier sénégalais qui squatte les parkings du sous-sol et vit d'arnaques « à la nigériane » sur internet… Et, parmi les Français de souche, Clément, ex-provincial obsédé par le Grand Remplacement, et aussi Michel Houellebecq, qu'il idolâtre au point d'en jalouser le chien…


La plus grande malice préside au récit, et c'est avec jubilation que l'on se délecte de cette série de portraits hauts en couleurs qui dresse un tableau plein d'ironiques vérités sur le Paris d'aujourd'hui. Rédigé avec une précision dont on ne sait si elle est totalement documentaire ou si elle le simule dans une forme de bluffante auto-dérision, le texte s'avère aussi divertissant qu'édifiant dans l'acuité de ses observations et la pertinence de ses commentaires. L'on se trouve vite convaincu de la parfaite représentativité de cette brochette de modestes personnages plus ou moins imaginaires, où viennent complaisamment se mêler les silhouettes décalées, bien connues du quartier, du célèbre écrivain et de son chien corgi.


Les trajectoires de vie qui s'échouent dans ce quartier comme autant de naufrages sur une île, dessinent une humanité bigarrée qui n'a pour point commun que ses innombrables et inguérissables meurtrissures. Et, pendant que Clément et ses semblables « historiquement » français se sentent dépassés par ce qu'ils envisagent, avec une certaine panique, comme une vague venue les submerger, tous les déracinés rassemblés ici tentent, modestement et douloureusement, de s'acclimater à une existence dont ce froid et rigide environnement de béton souligne très symboliquement l'aspect désespérément hors-sol.


Des trois histoires d'exil, de deuil et de séparations que l'auteur évoque avec une lucidité implacable assortie d'autant d'humour que d'humanité, le lecteur ressort plein d'une tendresse émue pour leurs personnages plus vivants que nature, dont l'ordinaire et modeste anonymat cache de si tragiques parcours et tant d'absurdes et injustes drames. Plus jamais l'on n'envisagera du même oeil ce quartier de Paris, que l'on quitte, à l'issue de cette lecture, le coeur empli d'un irrésistible mélange de tristesse et de rire. Un premier roman époustouflant et un grand coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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