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Critique de 5Arabella


Alors qu'après le XVIe siècle, qui a été un siècle d'or pour l'Espagne en ce qui concerne sa puissance politique et économique, le XVIIe manque un déclin continu sur ces deux plans. Mais en revanche, le XVIIe siècle est le siècle d'Or sur le plan artistique, et tout particulièrement pour le théâtre, qui connaît une période d'extraordinaire création. Un théâtre très original, qui va inspirer des auteurs d'autres pays européens.

Les comedias espagnoles sont des pièces théâtrales hybrides, qui ne rentrent pas dans la classification classique de comédie, tragédie, tragi-comédie. le comique peut côtoyer le tragique, la pièce peut faire rire et pleurer à la fois. le genre ne s'accommode pas des fameuses règles des unités ; il a été donc qualifié de baroque.

Une autre des spécificité de ce théâtre est d'accorder une grande place aux pièces à caractère religieux, l' auto sacramental ; pièces essentiellement allégoriques, symboliques, avec une portée morale. Sur scène des Vices et de Vertus, l'Homme, et l'intervention divine joue un rôle essentiel dans le déroulement de la pièce. Représentées le jour de Fête Dieu, sur les places, dans les rues, des villes et villages. Ouvertes à tous, véritablement populaire donc. Les grands auteurs du théâtre espagnol ont écrit des pièces appartenant à ce genre, à côté de leur production de comedias profanes. Les deux formes s'influencent forcément, par exemple Calderón va reprendre la trame de la vie est un songe dans un auto.

Les spécialistes semblent distinguer deux périodes dans ce théâtre du siècle d'or, une première période, jusqu'en 1625 environ, Lope de Vega est l'auteur le plus célèbre de cette première phase, puis la deuxième comedia, dont Calderón est le plus grand représentant. Cette deuxième période a été favorisée par l'arrivée au pouvoir en 1621 de Philippe IV, grand amateur de théâtre. La deuxième moitié du siècle va connaître un déclin de la production théâtrale, provoqué par les malheurs de l'Espagne, entre défaites militaires et autres désastres. La mort de Calderón en 1681 marque pour beaucoup la fin de cet art, qui sera redécouvert par les romantiques.

Calderón est issu de la petite noblesse, sa famille a été anoblie récemment. Il a été instruit par les Jésuites, il a fait une carrière à la cour, et il est entré tardivement dans les ordres. Il est donc marqué par une allégeance à la royauté et à l'Église. Auteur très fécond, il aurait écrit environ 1200 pièces.

La vie est un songe est sa pièce la plus célèbre, la plus jouée encore à l'heure actuelle. Elle aurait été écrite vers1629-1630, sans doute révisée vers 1635, deux éditions un tant soit peu différentes paraissent en 1636.

La pièce se passe, comme les comedias de l'époque en trois journées, sans séparation des scènes. Dans la première journée, Rosaure, déguisée en homme, et Clairon, son valet, arrivent à une tour dans laquelle un homme est enchaîné. Il dit sa révolte du traitement qu'il subit sans savoir pourquoi. Arrive Clothalde, le gardien qui fait arrêter les deux visiteurs, car il est interdit de pénétrer dans la tour et de parler au prisonnier. Il reconnaît en Rosaure son enfant, mais n'hésite pas à le livrer au roi.

Celui-ci, devant les demandes de son neveu et nièce, qui espèrent tous les deux hériter du royaume de Pologne, se résout à révéler l'existence d'un fils, Sigismond. Né sous des mauvais présages, annoncé par les astres comme un futur tyran cruel, il a été enfermé dans une tour. le roi Basile se propose de le libérer, de lui céder la couronne ; s'il se comporte « bien » il la gardera, mais s'il suit les présages, il sera remis dans la tour, et le neveu épousera la nièce, le couple devant par la suite hériter du trône. Compte tenu de ces événements, Rosaure et Clairon sont libérés.

Dans la deuxième journée, le prince Sigismond est transporté au palais et investit du pouvoir royal. Evidememnt il ne sait pas user de ce pouvoir, il est rempli de ressentiment pour Clothalde, son geôlier et pour son père qui a ordonné son enfermement. Par ailleurs nous découvrons l'histoire de Rosaure, séduite par Astolphe, le neveu du roi, elle est venue en Pologne soit pour s'en faire épouser, soit pour s'en venger. Mais le prince envisage maintenant d'épouser Etoile, sa cousine, pour accéder à la couronne.

Le prince est remis dans sa tour, et aussi Clairon, qui en trop vu. Ses geôliers ont mis dans son esprit l'idée qu'il n'a fait que rêver, qu'il n'a jamais occupé la place royale, et qu'il vient de se réveiller.

Dans la troisième journée, une révolte populaire déferle sur la tour, le peuple refuse Astolphe, le prince moscovite, et veut mettre sur le trône Sigismond, dont la roi a révélé l'existence. Sigismond ne sachant pas s'il rêve ou pas, suit quand même l'insurrection. Mais il change son comportement, il se montre précautionneux dans ses actes, de peur d'être dans un rêve. Il est victorieux, et fait grâce à son père et à tous ses antagonistes. Il oblige Astolphe à épouser Rosaure, et lui-même convole avec Etoile. Devenu bon roi, par peur d'un cruel réveil, il déjoue les prévisions des astres.

Baroque est forcément le mot qui vient à l'esprit devant ce foisonnement, cette abondance d'intrigues, cette diversité de registres, entre comique, tragique, scènes de batailles...Une langue recherchée et poétique, chargée par moment, de symboles, de références, entre autres mythologiques. Visiblement pas une langue populaire, accessible à tout un chacun, même si le personnage de Clairon, le valet est là pour donner une version plus simple, plus triviale, de de qui se passe. Mais de longues tirades ou monologues des personnages nobles, ne rendent pas forcément tout cela facile à appréhender.

C'est un théâtre du mouvement, il se passe toujours quelque chose, même si on parle beaucoup. C'est aussi un théâtre de l'instant. Il ne faut pas chercher une vraisemblance psychologique chez les personnages, ils sont des fonctions, des symboles plus que des personnes. Il y a sans doute un finalité morale et philosophique dans le récit.

Mais la pièce est très riche, et permet des lectures différentes de celles qu'à voulu lui donner l'auteur. le roi Basile a eu tort parce qu'il a voulu transgresser l'ordre de succession royale, même si Sigismond devait être un roi cruel et tyrannique, il devait monter sur le trône. C'est cela qui est sa faute, non le déni de paternité, et les souffrances infligées à un enfant puis un jeune homme innocent, d'une façon « préventive ». Evidemment, ce sont maintenant ces aspects qui touchent le lecteur et le spectateur. L'abus de la toute puissance royale, la cruauté et le manque d'amour paternel. de même le personnage de Clothalde, conçu comme le sujet parfait, exécutant les ordres sans se poser aucune question, prêt à sacrifier sa fille, nous paraît presque monstrueux, inquiétant, dans son allégeance aveugle et sourde au pouvoir. Alors qu'il était un modèle à suivre de son temps.

La pièce de la toute puissance royale et paternelle, mais les enfants-sujets finissent par avoir gain de cause. Même si c'est en entrant dans un moule, dans ce que l'on attend d'eux. Sigismond devient un prince modèle, maîtrisant ses colères et ses passions, et lorsqu'il acquiert cette maîtrise, le destin (donc Dieu) lui permet de retrouver sa place.

Le théâtre baroque était friand du théâtre dans le théâtre. Ici, même ce n'est pas une pièce, nous assistons à une représentation dans la deuxième journée, dans laquelle le pouvoir est donné à Sigismond. Mais un pouvoir sous haute surveillance, et le metteur en scène Basile, a si bien créé la situation, qu'il en connaît d'avance l'issue, qui fera retourner son fils dans sa prison, en le dédouanant de toute faute, de toute culpabilité.

Une des rares oeuvres de ce siècle d'Or à avoir traversé les siècles et à être jouée d'une façon qui n'est pas exceptionnelle, cette pièce le mérite sans aucun doute. La mise en scène doit être intelligente et permettre au spectateur d'accéder à cet univers lointain, mais c'est possible, et peut même être passionnant.
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