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Critique de ged7fr


La thèse de Joseph Campbell est à la fois intéressante et fondée : l'ensemble des mythes répond à une structure universelle, indépendante et adapté par les différentes cultures à travers le monde. Mais rien n'indique dans son long argument qu'elle soit prouvée, voire qu'elle soit réfutable.


Certains diraient que le nombre d'exemples exposés et leurs interprétations font la preuve. Et bien non, d'ailleurs le livre propose de nombreux éléments qui fragilise sa thèse. le plus décisif est l'usage et l'abus de l'usage de la psychanalyse.


Pour éviter tout procès d'anachronisme, il est juste de dire que la première publication du "Le héros aux mille et un visages" date de 1948. Les théories psychanalytiques de Freud et Jung étaient encore en vogue. Aux yeux de beaucoup, elles traduisaient une réalité "scientifique" de la psyché humaine. Freud disait lui-même (paraît-il) qu'il était un révolutionnaire dans la lignée de Copernic et Darwin : le révélateur que nous ne sommes pas maîtres de nous même. Quelques choses en nous, nous guide, nous influence, nous dirige. Mais déjà à cette époque des critiques fondamentales de la psychanalyse existaient. Campbell était au courant, ne dit-il pas ironiquement :


"Le postulat tacite étant que les grands maître du passé (...) étaient des névrosés qui commirent l'erreur de prendre leurs fantasmes sans frein pour révélation. Pareillement, bien des profanes considèrent les révélations de la psychanalyse comme des produits de l'esprit salace du docteur Freud." (p.246)


Il fait par là l'amalgame de ceux qui critiquent Freud avec ceux qui se sont trompés en se croyant supérieur à leurs ancêtres. En aparté vous noterez le lexique "scientifique" de la première phrase (névrose, erreur, fantasme) ; et le lexique "religieux" de la seconde phrase (profane, révélation, esprit).


Car à n'en pas douter la psychanalyse est comparable à une religion, ou a toutes croyances : elle a ses dogmes irréfutables, son explication du monde, du qui suis-je, que veux-je.


Ce n'est pas une tare de croire : c'est d'une part un constat et d'autre part (certainement) une nécessité. Croire c'est se donner des raccourcis pour s'identifier et savoir se comporter. Prenons mon exemple, je suis athée (un ignoticiste en réalité, cf. ep.19 de la chaîne Hygiène Mentale sur YT), pourtant j'ai fait mienne par éducation l'éthique judéo-chrétienne, et par choix l'éthique bouddhiste. Ici, ses croyances, plutôt les éthiques qui sont associées, me permettent de vivre d'une manière satisfaisante dans ce monde de chaos.


La psychanalyse apporte une grille de lecture au monde qui a son intérêt : "éros et thanatos", "le moi, le ça, le surmoi", etc. Mais ça n'en fait pas une science, ses thèses ne sont pas réfutables (expérimentable) ; ou si certaines thèses peuvent être réfutées, notamment dans les psychothérapies qu'elle porte, la pratique demeure dans "son église" et par "ses prêtres". de fait, depuis les années 1950, la psychanalyse a été renvoyée pour ce qu'elle est une doctrine pseudo-scientifique, qui ne survie bien qu'en France et au Brésil.


Le pront principal où je veux en venir, dans la critique de ce livre, est que l'auteur fait une erreur fondamentale : il applique la grille de lecture psychanalytique à sa thèse et aux mythes qu'il explore. Il fait la même chose que ces devanciers un ou deux siècles avant lui en appliquant une grille de lecture chrétienne aux mythes des peuples que les occidentaux commençaient à dominer dans le monde. le problème de cette approche peut se résumer par l'adage bien connu : quand on a seulement un marteau comme outil, tous les problèmes peuvent se résumer à des clous.


Et ça se voit trop bien, on retrouve le galimatias psychanalytique à profusion. Des passages entiers sont incompréhensibles. Un exemple :


"L'aspect ogre du père, en effet, est un reflet du propre ego de la victime et provient des impressions marquantes reçues dans la petite enfance, impressions abandonnées au passé mais qui se projettent dans le futur ; la fixation idolâtrique à cette non-réalité, qui vaut par son pouvoir pédagogique, constitue l'erreur même qui fait que l'on reste plongé dans un sentiment de péché qui interdit à l'esprit potentiellement adulte d'accéder à une vue plus équilibrée, plus réaliste, du père et, partant, du monde." (p.176) [oui, j'ai bien respecté la ponctuation]


Cependant, il y a aussi des approches plus anthropologiques sur certaines explications de textes. A mon sens, c'est ce que l'on devrait attendre d'un tel examen : expliquer les termes d'un mythe "étranger" avec les termes de sa société/civilisation, en déduire les similarités et les différences. Par exemple dans la la vision chrétienne, le serpent est une allégorie du mal, dans les civilisations antiques et nordique, le serpent (ouroboros) est le symbole du renouvellement de l'univers.


Dans certains récits de mythes que réalise Campbell, il passe à coté d'interprétation (qui semble) évidente (pour un initié). Les multiples références astronomiques dans les mythes rappellent qu'il n'y a pas que "la pulsion oedipienne" du héros, mais aussi l'inscription dans un cycle naturel, notamment des saisons, qui impliquent des conséquences sur la chasse et l'agriculture.


En conclusion, est ce que la thèse du "héros aux mille visages" de Campbell est nul et non avenue. Non !


La construction de cette thèse et ses arguments (si on enlève tous les abus) sont convaincants. Pas dans le sens d'un fait scientifique, mais dans le sens que l'on peut y croire. Existe-il une structure commune aux mythes ? Oui très probablement, mais ça peut être essentiellement l'effet d'un héritage commun. Cette structure est elle dictée par notre inconscient ? Peut-être, après tout notre cerveau, base de la pensée, est câblé à peu près de la même manière chez tous les humains : nous avons tous peur d'une manière innée des araignées et des serpents, et tous un besoin grégaire. Mais surtout c'est une merveilleuse recette aux récits, qui nous apporte deux besoins essentiels, une identité et une éthique. Récit dont le plus emblématique est pour nos contemporains : Star wars.

P.S. : Enfin l'épilogue donne un point de vue sur le lien se délitant entre la société moderne et sa connexion à l'univers au travers des mythes. Même si son propos rejoint certainement le sentiment de beaucoup de monde, elle est certainement à nuancer et à débattre. Peut-être qu'à la place de la "fin d'un monde", notre "connexion" est en transition vers un nouvel état, un nouvel équilibre. Si la période 1950-2022+ est une période de "post-modernité" (une sorte de quelque-chose d'indéfinissable fortement influencer par la pensée capitaliste), la nécessaire transformation de l'humanité face à ces nouveaux démons du changement climatique, de la "fin de l'abondance", etc., seront à la base d'un renouvellement des mythes : une transfiguration de l'existant, l'émergence de nouveaux mythes (par exemple une déesse du nom de Greta). ;-)






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