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Critique de fanfanouche24


Lecture en 1975....relecture en avril 2020 !!...Relecture d'une actualité des plus troublantes !

Une lecture-choc réalisée à 15 ans, en classe de seconde. En dépit d'une timidité maladive devant un public, je m'étais portée volontaire pour en faire un exposé devant les camarades... tant j'étais enthousiaste... J'aurais été curieuse de "réentendre" ce que j'avais pu comprendre, saisir de ce roman exceptionnel, aussi jeune ?!... Je n'aurais, évidemment, pas imaginé en faire une nouvelle
lecture des décennies plus tard, en une telle période de confinement et de pandémie...
où la planète est touchée dans son ensemble et non plus une seule ville, Oran, comme dans la fiction de Camus... on retrouve ceci dit les mêmes peurs, les différents comportements individuels, l'inertie bureaucratique des édiles, etc.

Je regardais par curiosité les lecteurs de ce texte... qui sont constants toute l'année... mais depuis les difficultés éprouvantes de cette période présente , une curiosité très vive s'est démultipliée depuis le confinement...et le contexte anxiogène que nous vivons tous ensemble...

"A la vérité, il fallut plusieurs jours pour que nous nous rendissions compte que nous nous trouvions dans une situation sans compromis, et que les mots " transiger", "faveur", "exception" n'avaient plus de sens.Même la légère satisfaction d'écrire nous fut refusée. D'une part, en effet, la ville n'était plus reliée au reste du pays par les moyens de communications habituels, et d'autre part, un nouvel arrêté interdit l'échange de toute
correspondance, pour éviter que les lettres pussent devenir les véhicules de l'infection. (...) Les télégrammes restèrent alors notre seule ressource. Des êtres que liaient l'intelligence, le coeur et la chair, en furent réduits à chercher les signes de cette communion ancienne dans les majuscules d'une dépêche de dix mots." (p. 68)


Je reste totalement admirative, époustouflée...à la relecture de ce texte...qui est une somme incroyable de nos angoisses, de nos terreurs, de notre individualisme forcené, ou élans de solidarité pour faire front à "tout
fléau", en se serrant les coudes... Ce roman déborde d'analyses de comportements, de questionnements universels en période de tragédie collective: la vie, la mort des êtres aimés, nos engagements ou retranchements de la collectivité, la lutte ou la résignation, la valeur que l'on donne à sa propre
existence et à celle d'autrui, etc

"Rieux savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu'il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d'un être et le coeur émerveillé de la tendresse."

Nous retrouvons toute l'humanité d'Albert Camus dans ce récit d'une ampleur unique !

""Vous n'avez pas de coeur", lui avait-on dit un jour. Mais si , il en avait un. Il lui servait à supporter les vingt-heures par jour où il voyait mourir des hommes qui étaient faits pour vivre. Il lui servait à recommencer tous les jours. Désormais, il avait juste assez de coeur pour ça. Comment ce coeur aurait-il suffi à donner la vie ? "(p. 176)

"J'essaie d'être un meurtrier innocent. Vous voyez que ce n'est pas une grande ambition. (...) C'est pourquoi j'ai décidé de me mettre du côté des victimes, en toute occasion, pour limiter les dégâts. Au milieu d'elles, je peux du moins chercher comment on arrive à la troisième catégorie, c'est-à-dire à la paix. (p. 229.)

Je n'ai pas envie de décortiquer ce texte qui est un sommet d'interrogations, un concentré des complexités
humaines devant le Mal, la Barbarie, le mystère total de sa présence sur terre... le docteur Rieux [ que je ressens comme un double de Camus] est des plus conscients devant ses limites, son impuissance devant le Mal, cette épidémie de peste qui fracasse la ville d'Oran, dévoilant les différents comportements des individus face à la maladie, l'injustice des êtres jeunes, décédant dans la souffrance [ une scène terrible, intolérable de la mort
d'un enfant ]ou nos anciens, frappés tout aussi violemment et arbitrairement... Cela serait si réconfortant ou du moins logique que les salauds soient frappés et les hommes de bonne volonté, épargnés
Mais rien de tout cela !...

Malgré l'impuissance du Docteur Rieux, ce dernier persiste à réduire les dégâts, à rester un" homme
debout" qui tente de soulager et de soigner ses congénères, dans un dévouement sans faille, en tentant
d'oublier son propre chagrin d'avoir son épouse loin de lui, soignée , pour une autre maladie...
En dépit de cette calamité le dépassant, le Docteur Rieux se maintient dans ses convictions intimes... malgré l'absurdité, l'incompréhension...la révolte qu'il ressent intensément !!...


Un élément très important dont je ne me souvenais aucunement c'est la condamnation sans appel de "La Peine de mort"...

Vous excuserez, j'espère, le décousu et le désordre de ce billet...car je suis dans l'incapacité de rédiger une chronique bien lisse... trop de sujets abordés, qui nous interpellent tous, frontalement...tous aussi essentiels les
uns comme les autres...

"Vous n'avez jamais vu fusiller un homme? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur invitation et le public est choisi d'avance. le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné? Savez-vous que si le condamné faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine? Savez-vous qu'à cette courte distance, les fusilleurs concentrent leur tir sur la région du coeur et qu'à eux tous, avec leurs grosses balles, ils y font un trou
où l'on pourrait mettre le poing? Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. Mais moi je n'ai pas bien dormi depuis ce temps là. le mauvais goût m'est resté dans la bouche et je n'ai pas cessé d'insister, c'est-à-dire d'y penser"

Je tombe sur ce commentaire lié à l'actualité sanitaire terrifiante que nous vivons, qui a provoqué chez nous, Lecteurs du présent, la vive curiosité de se replonger dans ce texte précieux, humainement, philosophiquement, avec lequel je suis en accord. Roman- phare, écrit en 1947, aux lendemains
des horreurs du nazisme... Complètement d'accord, ayant eu le même élan, la même curiosité pour
cette relecture !

"****Par ailleurs, les ventes du roman ont augmenté pendant la pandémie de coronavirus de 2020 :

« En tous les cas, si pour la plupart cette lecture remonte aux années d’adolescence, il vaut la peine de s’y replonger aujourd’hui tant on y trouve d’échos à la vague épidémique qui déferle : les autorités qui tardent à regarder la réalité en face, les mesures de confinement, les différentes façons de réagir face au mal, par le déni, le dédain, la magouille, la panique, la fuite. Ou l’engagement, incarné par le docteur Rieux. »

D'autant plus impressionnant de se rappeler que ce texte incontournable dans l'histoire de la littérature
mondiale a été imaginé et rédigé par un jeune homme de 34 ans !!....
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