AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Denis3


Denis3
08 décembre 2023
Ceux qui agissent, ceux qui pensent (mal)
ET
le troupeau qui tourne en rond.

La peste - une maladie jadis synonyme de fin du monde, les épidémies formant avec les guerres, la famine et la conquête le quatuor des cavaliers de l'apocalypse. Cette peste, que Camus situe à Oran dans les années “ 194.” est, bien sur, une métaphore couvrant toute une série de possibilités, même si beaucoup ont voulu y voir l'image de l'occupation . A mon sens, elle représente tout désastre à la fois collectif et individuel, qui interrompt le cours espéré de l'existence, mettant ainsi en évidence la vulnérabilité de l'homme et de son bonheur. Ce face à face avec la finitude de l'existence, avec les brisures qui la traversent, et qui peuvent brusquement la faire éclater, choque les illusions qui bercent la vie en temps “normal”.

Ainsi nous nous retrouvons à Oran, où, soudain, des événements étranges se déroulent. Une infestation de rats. Qui viennent crever sur les paliers, puis à la rue et sur les places publiques. Ensuite, des maladies soudaines, brutales, fatales. Leur nombre croît rapidement. Mais personne ne veut, ne peut y croire. Une chose étrange se passe, mais comme elle ne peut trouver sa place dans la vie normale, elle est ignorée. On hausse les épaules. C'est bizarre mais ça passera.

En quelques semaines, la maladie dévoile son visage, devient épidémie galopante, et chacun est bien obligé de prendre position, de se dévoiler en réponse au mal. La position que l'on prend reflète l'attitude fondamentale que l'on a envers la vie : les masques tombent. Il y a ce vieil asthmatique qui se réjouit . A t-il trop souffert, est-ce un misanthrope ? Les opportunistes, pour qui la catastrophe est une belle occasion de faire des affaires en contrebande de personnes ou de biens. Un journaliste, amoureux, qui ne pense qu'à rejoindre sa bien-aimée hors des postes de garde qui quarantainent désormais la ville. Et l'immense masse qui tourne en rond, essayant de tromper son ennui - le vide essentiel de son existence tel que révélé par l'épidémie - en parcourant les boulevards et en assistant pour la quinzième fois à la projection du même film, même les bobines de films étant interceptées par l'armée.

Il y a donc l'immense majorité de ceux qui s'accommodent de l'épidémie, et il y quelques individus qui luttent. Il y a surtout Rieux et Paneloux . le premier est médecin. Confronté à la souffrance, à la mort, il agit. Non en se référant à une doctrine, mais simplement par humanité. Et parce que c'est son travail. Il fait ce qu'il peut, même si c'est peu de choses, parce qu'il peut le faire. Et pour cela, il est prêt à sacrifier son bonheur - car lui aussi a quelqu'un qui l'attend ailleurs. Il donne tout pour rien, ou presque rien ,sans autre espoir que celui de continuer à lutter. L'image de Sisyphe surgit … Paneloux, lui, est prêtre. Il est de ces gens qui veulent tout, absolument tout justifier en l'incorporant dans un schéma explicatif. Mais il est des choses, telles que la souffrance, telles que le mal, qui relèvent du domaine du mystère. Un prêtre devrait savoir cela. Mais rien ne résiste à la fureur justificatrice de Paneloux, qui restructure le problème jusqu'à ce que ses systèmes de pensée puissent l'accommoder. C'est ainsi que font les fanatiques de tous bords : ils racontent ou commettent des horreurs en essayant d'expliquer ou de remédier à l'horreur. Rieux est protégé par son humilité : il n'essaye pas de comprendre, se contentant de faire sans expliquer ni justifier. La force de l'humilité, pas celle de l'absurde, est pour moi le thème central de ce roman.


Ce livre m'a rappelé quelques souvenirs de l'époque du Covid. Je me souviens de cette grisaille. Aujourd'hui encore je différencie mal ce qui s'est passé en 2020 de ce qui s'est passé en 2021 : tout cela est une masse indifférenciée, en grande partie oubliée. le temps avait suspendu son vol, et pas parce que l'instant était merveilleux. Je me souviens aussi de cette masse de gens qui; d'abord, avait déclaré que nous étions des “ héros” ( je travaille en hôpital, même si je ne suis pas soignant), pour quelques mois plus tard surcharger désastreusement le système de soins parce qu'ils n'étaient pas capables de se passer de sorties en boîte plus de quelques semaines. La bêtise, la lâcheté, la connerie généralisées - comme celle des masses qui tournent en rond sur les boulevards d'Oran. C'est aussi pour cela qu'il m'a fallu deux semaines pour terminer ce livre.








Commenter  J’apprécie          666



Ont apprécié cette critique (66)voir plus




{* *}