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Critique de Fleitour


Quel talent !

l'Étranger d'Albert Camus, est un livre déroutant, déconcertant, un roman inclassable qui par la singularité de sa construction et par son écriture si simple, est une œuvre hors norme, qui se dévoile peu à peu.
Camus lui-même nous demande de le lire avec attention. Meursault le personnage principal est devenu un mythe, d'autant plus fort que Camus se revendique de Meursault.

Et si Hugo et Voltaire étaient appelés à lire L'Étranger ! Et déroulant le procès, je les imagine passant du rire aux larmes, de la colère à la consternation, parcourant trois scènes sublimes, points décisifs du récit notamment dans ce dialogue final avec le curé où il s'emporte, "la mort c'est vous" moi je vis.

Je suis comme avec un tricot mal ajusté à vouloir faire coïncider, avec des maladresses, des bouts de vie, l'envers et l'endroit qui ne s'ajustent plus, tout semble incohérent, à commencer par le titre, publié en 1942 l'étranger, car quel est-il l'étranger sinon l'armée allemande.
Alors faute de mieux, comme un musicologue, je vais creuser chaque morceau de cette partition, mais je sais où finit le bal, sur l'échafaud.


ÉTRANGER


Étrange l'Étranger de Camus, car on sait pas grand-chose des deux personnages principaux, de l'arabe comme de Meursault qui a perdu sa mère. Il est difficile d'être plus étranger, à soi et à tous les autres, cette étrangeté en fait, un personnage totalement à part de notre littérature. Ce presque rien, réalise, à lui seul le mythe de l'Étranger auquel Kamel Daoud a lui-même voulu répondre.
Étrange de voir comment, peut-on d'un presque inconnu, établir un portrait, comment un juge brandissant un crucifix affirme qu'il n'a jamais vu âme si endurcie, d'un homme qualifié par le procureur plus abominable qu'un parricide.
La communication est absente ou fragile, dans tous les sens, ni Meursault, ni le juge, ni Marie, ni le prêtre, ne sont capables d'un réel dialogue, affirmant une fois de plus la réalité de l'Algérie, et la réalité de l'homme. L'absurde rattrape le récit dans la tendre indifférence du monde...
La tragédie émerge par le quotidien et l'absurde par la logique. Kafka n'est plus si loin.


ÉCRITURE BLANCHE


J'ai au cours des premiers chapitres été fasciné par cette écriture blanche, une écriture scientifique où l'on pèse le poids et la signification de chaque mot, pour lequel il convient de puiser un mot plus juste encore, moins affectif, plus neutre et y ajouter pour chaque question, au mieux un, " je ne sais pas", ou plutôt un, "ça m'est égal."
Les procédés narratifs, bousculent ou assèchent le désert intérieur.
Cette froideur dans le récit heurte et plus encore trouble le lecteur et le personnel de l'asile, jusqu'à ce constat ; " il n'a pas pleuré devant sa mère morte. "

Est-on sûr d'ailleurs qu'un enfant qui perd sa mère pleure ! Je sais que non, il n'en est plus capable, on lui dira alors qu'il est sans cœur, l'enfant sait bien qu'il n'en a plus.
" Un attachement si puissant qu'aucun silence ne peut l'entamer".
Cette écriture blanche vient se fracasser sur la suite du récit et libère un langage acre et de plus en plus noir pour aboutir à la dernière scène d'apocalypse, et s'effacer sur ce point d'orgue.


ROMAN PHILOSOPHIQUE.


C'est l'approche Nietzschéenne du livre qui s'invite et s'impose, c'est vouloir le monde tel qu'il est, la sagesse naît de tout ce qui est, a été, et restera à l'identique, et personne n'y peut rien.
Cette sagesse peut se résumer aussi à vouloir vivre totalement le monde, un monde à aimer, se contenter de lui et ne jamais récriminer contre lui. Je découvre un Camus hédoniste et libertaire qui affirme jouir du monde et s'y trouver comme un poisson dans l'eau.

De ses lectures il abreuve ses réflexions, du taoïsme il partage une obligation fondamentale, la vie ici bas, dégagée de tout, au delà énigmatique.

D'autres nuances aussi apparaissent, la suspension de tous avis, l'indifférence à tout, la maîtrise de l'affectif, ces quelques traits, dérangent autant le lecteur que les personnes qui l'entourent.
Est-il si totalement incapable de vivre en communauté, certes non, mais sa philosophie fait de lui un sceptique un homme qui cherche la vérité sans relâche et qui se garde de tout jugement superficiel ou préalable.
Il a tout appris de sa mère silencieuse, les mots ne sont jamais galvaudés.
C'est sans doute pour moi une grande découverte. Ce livre jette les bases, d'un courant anarchiste, Libertaire et hédoniste, le récit est délié par des personnages et une histoire, mais surtout dédié à enrichir une pensée.


L'AFFIRMATION DE SON ATHÉISME.


Dans deux scènes magnifiques, on lui suggère de solliciter le pardon, mais le pardon de Dieu. De telles suppliques lui sont non seulement indifférentes, mais déclenchent chez lui de la colère.
Il me vient un texte de Brel ;
"ils s'en vont à l'église déverser leurs saletés, au curé qui dans la lumière grise, baisse les yeux, pour mieux leur pardonner ».
Albert Camus ne demande pas le pardon, il exige la justice, Meursault est effaré qu'on lui présente le Christ en croix, explique qu'il ne sait pas ce que veut dire le péché, professe qu'il ne croit pas en Dieu, et affirme clairement son athéisme.

L'effondrement du juge qui vient de brandir la croix du Christ, comme un inquisiteur, aurait fait frémir un homme comme Voltaire. le procès est une caricature qui ne manque pas d'humour, "enterrer sa mère avec un cœur de criminel" !



Dans la prison, il doit s'exprimer avec une violence redoublée, " il est vivant et il n'a pas le temps de parler d'un Dieu Mort". Il dit "que l'enjeu c'est la vie et non la mort" , alors que le prêtre vient lui parler de la mort, la vie n'est elle pas trop importante pour être souillée par des discours inutiles.


LA PASSION DE LA VÉRITÉ.


Camus, ne fait aucune entorse à la recherche de la vérité. Meursault affirme que c'est le soleil qui l'a troublé, qu'il n'avait pas prémédité son acte, " dire le soleil , cela déclenchera les rires dans le tribunal ".
Et Meursault a raison. La scène du crime est un bijou littéraire, d'une radicale simplicité. Elle se joue avec une économie de mots, et le soleil se joue de sa lucidité, l'accable de sa force, troublant de réalisme.
Est-ce que le jugement reçu est juste, est-ce que la vérité a été recherchée ?
Villiers de L'Isle-Adam dans les Demoiselles de Bien filâtre, le premier des contes cruels souligne avec ironie que le bien et le mal devient une question de latitude, et ainsi de passer des Indiens aux Lapons de Sparte à Kaboul, et de décrire certains supplices en vogue dans ces climats.
L'expérience du jeune écrivain qui suivit comme chroniqueur sur plusieurs procès affleure ici : avoir poussé les dialogues jusqu'à l'absurde.
Il y a dans l'étranger, cette profonde réflexion sur la recherche des faits, sans mélanger les rumeurs, sans assommer le jury avec des plaidoiries bâties sur des préjugés. Hugo aurait sans doute apprécié.


MAMAN EST MORTE....


Ce livre aux multiples facettes, commence avec la mort de sa mère il s'achève sur le crime qu'il a commis, la réalité vécue lui vaudra l'échafaud.
Serait-il vrai qu'il n'a pas de conscience, pas d'âme, comme souhaite le présenter le président du tribunal, puis l'appeler Monsieur l'Antéchrist, pour avoir refusé le repentir du prêtre ?

On condamne Meursault pour son apparente indifférence, indifférence apprise de sa mère et sur laquelle ils fondent leurs rapports, les juges et le prêtre peuvent lui reprocher son attitude, ils ne la comprennent pas.
Meursault rejoindra sa mère,
"si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre."

Je suis encore sous le charme de ce livre, car il finit ainsi;
il crie sa colère, sa révolte contre cette mort prématurée, contre la condition humaine, contre toute idée de vie future. Prêt à tout revivre purifié vide d'espoir vain,
il s'ouvre alors pour la première fois, à " la tendre indifférence du monde, j'ai senti que j'avais été heureux et que je l'étais encore".
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