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Critique de Malaura


Que diriez-vous de prolonger l'été sur les hauteurs boisées de Rome, confortablement installés au bord de la piscine d'une résidence des plus sélects ? « Villa Magnolia » : allées calmes, pelouses impeccables, « jardins obséquieux », fontaines jaillissantes, bancs ombragés, armée de gardiens égyptiens entièrement dévolue à votre tranquillité. Là tout n'est ordre et beauté, luxe, calme et volupté …dirait le poète.
Sans compter qu'au mois d'Août, la douzaine de petits immeubles de standing aux noms de fleurs se vident en bonne partie de ses riches occupants ; vous pourrez ainsi vous adonner pleinement aux joies du farniente, agrémentées de quelques ragots et commérages pour faire couleur locale…La Villa Magnolia est un peu comme un village, tout se sait et tout se voit.
En ce jeudi ensoleillé où les jeunes employées, profitant de leur repos hebdomadaire, viennent, telles de jolies nymphettes, s'ébrouer en bikini autour du bassin d'eau claire, voyons donc qui seront vos autres compagnons de bain :

Professeur Filippo Ermini ; ce fils de grand général a vu sa vie basculer le jour où un chauffard a percuté sa moto, le laissant à demi paralysé. Depuis, quadra désabusé, il traîne ses idées noires en fauteuil roulant sous l'oeil vigilant de l'« Indispensable » Isidro, un impassible majordome péruvien au service de la famille depuis de longues années.
Rosario, maître-nageur. Plus enclin à partager les derniers potins qu'à nettoyer la piscine, ne soyez pas étonnés de le trouver en plein conciliabule avec Lele et Lorena Mortella, commerçants prospères à « la vitalité belliqueuse», ou avec maître Laporta, dont le quintal bronzé et les lunettes noires le feraient davantage passer pour un membre de la Cosa Nostra que pour un avocat du barreau.
Enfin, celui qui alimente toutes les discussions depuis son arrivée à la Villa Magnolia, celui qui nourrit soupçons et suppositions, des hypothèses les plus inquiétantes aux conjectures les plus farfelues, Rodolpho Raschiani, le nouveau résident.
Il se dit ingénieur mais son dos barré d'épouvantables cicatrices, son comportement entre charme viril et assurance menaçante, l'impression qu'il donne de tout connaître des habitants de la résidence, la ténacité avec laquelle il a entrepris de nouer des liens (notamment avec Filippo), ne lassent pas de susciter l'intérêt et les interrogations. Combatif, intelligent, brillant…sous son élégance conquérante et sa ténébreuse séduction, que cache cet homme qui semble posséder un lourd passif et ne sort jamais de la propriété? Qui est-il réellement ? Ami ou manipulateur ? Inoffensif ou prédateur ?

Non, ce n'est pas à une tranquille partie de scopa que nous invite l'écrivain italien Luigi Carletti, mais à jeu de dupes astucieux et machiavélique dans lequel l'on plonge avec la satisfaction d'un bain à remous, ballotté entre une intrigue finement maîtrisée et le plaisir d'une comédie noire à l'italienne, racée, vive, spirituelle.
Le romancier, traduit pour la première fois en français, met en scène une sorte de délicieux huis-clos hitchcockien saupoudré d'espièglerie à l'italienne, une subtile arlequinade pleine de soleil, d'humour, de gravité parfois et de suspense.

Les échanges, empreints d'une ironie fine, sont savoureux. Les personnages - du narrateur déprimé Filippo au mutique Isidro en passant par l'insolent Raschiani ou les gentils ridicules des autres protagonistes – empruntent à la caricature juste ce qu'il faut pour en imposer et s'incarner aussi aisément que des acteurs de cinéma dans l'esprit du lecteur. La construction de l'histoire, enfermée dans le cadre quasi-unique de la luxueuse résidence, possède l'entrain d'une pièce de théâtre sans l'affectation ni la démesure.
C'est donc bien agréablement que l'on se coule dans cette petite communauté bouleversée par un élément perturbateur, s'amusant à jouer les voyeurs tout le long de cette sympathique comédie populaire, orchestrée de main de maître par un Luigi Carletti qui réussit à combiner avec aisance, élégance et brio, divertissement, bouffonnerie douce et fin cynisme.

« Prison avec piscine »…à siroter au frais, à l'ombre…d'un parasol.
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