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Critique de Domichel


Cela faisait bien 50 ans que je n'avais pas lu un album de Bécassine. Probablement un de ceux de ma soeur.
Grâce à Babelio et à Masse Critique, j'ai eu la chance de recevoir celui des aventures de la petite bonne Bretonne pendant la Grande Guerre. Merci donc à Babelio et aux Éditions Gautier-Languereau pour ce beau cadeau avec sa couverture d'origine dans une édition spéciale “Centenaire de la Guerre 1914-1918”.
Amateur de bandes dessinées - ô combien ! - je n'avais pas de livre de Bécassine dans ma collection. Sans doute qu'inconsciemment je la classais dans les livres pour enfants (et que j'avais passé l'âge !) et sans doute aussi pour petites filles (ce que je n'ai jamais été !). Je me rends compte aujourd'hui que j'avais probablement tort et qu'elle peut être lue par filles et garçons (bien que le style soit un peu désuet et la lecture un peu ardue) et aussi avec nostalgie par les adultes.
Née en 1905 dans la «Semaine de Suzette» pour combler une page blanche avant parution, Bécassine est l'enfant de Maurice Languereau dit Caumery pour le texte et Joseph-Porphyre Pinchon pour le dessin.
Ce genre de récit est difficile à cataloguer dans la mesure où ce n'est pas à proprement parler une bande dessinée. La première différence réside dans les textes dactylographiés sous les illustrations sous forme de légende en petits caractères, le phylactère n'étant pas encore utilisé en Europe, bien qu'ils l'ait été beaucoup plus tôt de l'autre côté de l'Atlantique avec «Yellow Kid» et «Little Nemo» entre autres. En France nous le verrons apparaître épisodiquement chez Caran-d'Ache fin XIXe, et plus tard chez Forton et Saint-Ogan. D'autre part les commissions de censure s'inquiétaient de ce que les jeunes lecteurs perdent l'habitude de lire en n'ayant que des textes brefs dans les fameuses bulles !
La deuxième différence est que les dessins ne sont pas encadrés façon vignettes typiques des BD et que rares sont les éléments graphiques donnant l'impression de suite de mouvements, ou de sentiments. On parlera dans ce cas précis davantage d'illustrations légendées, avec malgré tout beaucoup de décors et d'arrière-plans, d'où l'appellation d' «illustrés».
Il reste de tout ceci un charme indéniable et une fraîcheur qui ne s'est pas évaporée un siècle plus tard. Les dessins, je l'ai dit, sont tout simples malgré une recherche évidente dans les costumes (il fallait que cela fasse vrai), les postures des personnages qui sont à dessein exagérés, n'ayant pas encore les codes graphiques de la BD qui arriveront avec Zig & Puce et surtout avec Tintin. En ce qui concerne les textes, toujours placés sous forme de légendes, ils sont très prolixes, décrivant à la fois l'action, les dialogues, les sentiments, les dessins (!) et même en aparté, les pensées de Bécassine ou de ses acolytes. le ton de la narration est volontairement simple, sans être simpliste, s'adressant à des enfants. le vocabulaire employé est très riche et permettait au lecteur de se cultiver tout en se distrayant.
Quant à l'histoire on pourrait presque dire qu'elle est réelle, se situant volontairement dans le cadre de la Grande Guerre mais à travers les yeux et l'esprit naïf de l'héroïne. Cette petite bonne Bretonne venue travailler à Paris chez Madame de Grand-Air à une époque où il était bien vu de «se placer», n'a pas poussé très loin les études et l'orthographe dont elle use devait faire grincer des dents plus d'un instituteur tombant sur ses aventures. Mais sa naïveté est touchante, elle prend tout ce qu'on lui dit au pied de la lettre et son caractère, courageux, opiniâtre et fait de bons sentiments, la conduit inexorablement à provoquer des catastrophes ou des situations comiques souvent à son désavantage. L'aimable Madame de Grand-Air, consciente de la simplicité de sa bonne lui pardonne volontiers ses erreurs et tente à chaque fois de lui expliquer la réalité des choses. Les multiples historiettes de l'album vont conduire Bécassine de Dieppe à Paris, puis en Touraine et dans sa Bretagne natale à Clocher-les-Bécasses, ou elle aura bien des aventures, avant de rejoindre sa maîtresse et aller jusqu'en Alsace où elle trouvera de nombreux petits amis parmi les enfants qui la connaissent grâce à leur lecture de la “Semaine de Suzette”
La parution en 1915 de cet album met en avant la bravoure de nombreux personnages, et même à travers les situations cocasses, on exalte le sentiment patriotique. Mais il ne faut pas se méprendre sur le ton donné aux textes de Caumery. Loin de tomber dans un optimisme béat, c'est une peinture de la France de l'époque, faite de régions regroupées autour du drapeau tricolore, fière de son histoire avec un idéal de liberté et de courage.
Certains esprits chagrins (encore eux !) ont critiqué violemment ces livres pointant d'un doigt accusateur l'ignorance des personnages décrits par les auteurs, mais combien de français du début du XXe siècle allaient au-delà du certificat d'études ? La révolution Industrielle n'avait pas encore dépeuplé les campagnes et les traditions y étaient encore très riches. On a aussi fustigé l'image donnée des Bretons de Clocher-les-Bécasses, mais Bécassine aurait très bien pu être Berrichonne, Provençale, Chtimi ou Béarnaise… Loin d'être la honte d'une région elle est devenue l'un de ses porte-drapeaux et il n'est qu'à voir le succès des festivals d'été en Bretagne pour se rendre compte de la prégnance de sa culture.
En conclusion j'ai passé réellement un bon moment en compagnie d'Annaïck Labornez (son vrai nom), et de ses compères et commères au milieu d'aventures souvent hilarantes sans être humiliantes.
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