AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de PGilly


Je lis cet ouvrage érudit, dense et d'actualité à raison d'une quinzaine de pages quotidiennes. Jusqu'à présent (page 70 sur 445) Pierre Charbonnier a donné les coordonnées d'une histoire environnementale des idées politiques modernes; autrement dit il entend poser les bases d'une histoire politique des rapports à la nature.
Il remonte le temps, en partant du XVIIè siècle jusqu'à nos jours, caractérisés par l'altération catastrophique et irréversible des conditions écologiques globales. La production surpasse la capacité de régénération des ressources. Tout commence avec la dégradation des structures féodales de la société et de la symbolique théologique qui la soutient. Aux guerres de religion succède l'exploration des mers et et des territoires. La délimitation des espaces occupés, la détermination des droits de chacun, la façon d'encadrer et de conduire les choses naturelles vont conduire la politique.
Rivalités coloniales et marchandes vont structurer un premier corpus juridique européen. Grotius rédige son traité Mare Liberum en 1604, destiné à légitimer l'expansion commerciale des Provinces-Unies en Asie orientale. Grotius énumère également un ensemble de choses naturellement rétives à l'appropriation, selon la tradition morale et juridique : l'air, les eaux courantes, le soleil et le vent. Ce texte fondateur reprend aussi le principe de l'hospitalité dérivé de l'Antiquité, accordant le droit de transit à d'autres groupes.
L'expansion coloniale et le mercantilisme reconfigurent la société, de même ensuite que la révolution industrielle, grande consommatrice d'énergies fossiles. Ces évolutions portent en germe une relation pathologique avec le milieu. Le changement climatique et le chamboulement des équilibres écologiques découlent logiquement de la croyance, libérée des pesanteurs du monde, en une disponibilité illimitée des ressources terrestres. Cette exploitation éhontée de la planète montre ses effets dévastateurs sur les peuples et les territoires. Il s'agit dès lors de repenser les relations de l'homme avec ses milieux, en ayant à l'esprit une volonté de redistribuer équitablement des richesses inégalement réparties. Cette iniquité a généré un courant de politisation des inégalités sociales. Il est urgent et nécessaire que la politique entreprenne une mutation révolutionnaire en intégrant les impératifs écologiques à son programme " En d'autres termes, c'est l'organisation démocratique et les aspirations qui la soutiennent qu'il s'agit de décarbonner - et pas seulement l'économie ".
Exigeant et passionnant. À suivre...
Quarante-cinq pages plus loin ( p.115), les notions de marché de biens de consommation, de division du travail, de croissance sont apparues à l'instigation d'Adam Smith, un des pères de l'idéologie libérale. Il récuse le modèle exclusivement agraire des physiocrates français, qui contrecarre l'expansion vers la richesse profitable à tous. Donc place à l'industrie, au commerce et à la finance, phases de développement qui supposent une moindre intervention de l'État, l'intérêt privé œuvrant avec "bons sens". La croissance extensive liée à l'accroissement de l'exploitation des ressources fossiles dissout les préoccupations écologiques, qui jusqu'au XVIIIè siècle était de faire avec ce qu'on a, avec ce que la terre pouvait donner sans la forcer. Les hiérarchies sociales, elles ne bougent pas. Les propriétaires et les investisseurs tirent les fruits de leurs possessions et de la force de travail des ouvriers. Place à la révolution industrielle. Je serai plus synthétique ensuite, l'essentiel étant maintenant de savoir comment remettre la géo-écologie au centre de la politique.
Un point arrivé à la page 186. Une évidence s'impose. Dès l'exploitation d'une énergie fossile comme le charbon, apparaît un décalage entre l'essor économique et la création d'instruments juridiques et d'institutions politiques. On fait confiance à la capacité auto-régulatrice du marché. L'économie semble pouvoir tourner sans limites, puisque l'énergie exploitée est dissociée de la vie, du travail, de l'espace. L'expansion coloniale, la redistribution des richesses défaillante, créent des injustices sociales. On épuise les corps, les cultures et les terres. Le chemin de fer rapproche et isole à la fois. On oublie de calculer les ressources naturelles disponibles, hormis Jevons en 1865, qui prédit la fin du charbon cent ans plus tard. Cet économiste britannique esquisse la notion d'empreinte écologique et parle déjà d'effet rebond. Quelle surdité générale à l'époque et ensuite.

La densité et le style touffu de l'auteur ont eu raison de ma patience. J'ai donc lu les synthèses réflexives entre les derniers chapitres de façon à pouvoir esquisser un avenir où écologie et politique soient indissociables.
Dès le XIXè siècle et suivants, des penseurs plaident en faveur d'un usage raisonné et durable des ressources. Peine perdue. L'économie libérale a renié ses promesses d'émancipation, elle a négligé la régulation sociale que la société lui avait déléguée. Les cycles économiques autonomes ignorent les contraintes naturelles, les aléas climatiques et écologiques. L'abondance matérielle sélective n'est pas proportionnelle au bonheur subjectif. Après 1929, après 1945, le libéralisme prétend à la justice de marché contre l'abus d'État. Il alimente des désirs séparés des besoins. Une psychopathologie de la sur- consommation liée à l'offre abondante s'installe et épuise la planète.
Quel remède, docteur ?
Réaligner social, écologie et politique. Sortir du mantra de la croissance coûte que coûte. Cela dépend aussi de nous, de notre mode de consommation. La pensée politique doit intégrer des demandes de justice pressantes, liées aux préoccupations matérielles ordinaires que sont l'énergie, l'usage des sols, la distribution de la richesse.
Jean Charbonnier signe une imposante rétrospection conceptuelle et historique, en érigeant l'écologie en fil rouge "dans le temps long des conflits sociaux". Dommage que son approche soit noyée dans un style privilégiant la citation académique au détriment d'exemples illustratifs d'une mise en perspective remarquable, tant philosophique, sociologique, qu'économique.


Lien : http://cinemoitheque.eklablo..
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}