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Critique de SeriallectriceSV


Un bel et bouleversant hommage à un père parti trop tôt, un père aimant, amoureux fou de sa femme et de sa fille, une histoire de famille touchante, déchirante, une descente aux enfers et une émouvante histoire d'amour...Saturne c'est un peu tout ça à la fois. Des pages empreintes de vives douleurs et de mélancolie, d'une certaine tension et à la fois d'une intense lumière d'amour et d'espoir dans cette sombre nuit.

Sarah Chiche raconte la vie de son père, Harry, son enfance broyée par la médiocrité des adultes, la relation avec son frère - Armand, le préféré, celui qui réussit « Mais Armand n'aime pas Harry, ou plutôt, il l'aime comme on est forcé d'aimer les bons chiens qui trottinent à nos côtés, tremblants et frétillants, et lancent de biais des regards humides qui appellent la caresse. » -, la folle histoire d'amour avec celle qui deviendra la mère de l'auteure, Ève, la « plus déglinguée des enfants perdues ».

〰L'écrivaine raconte ses propres souffrances, son enfance bousillée par les pertes sèches « je vivais dans un monde où les objets apparaissaient tout aussi brusquement que les gens y disparaissaient, et où, du reste, comme les autres, on l'aura compris, je ne vivais pas vraiment », par les dissensions au sein de sa famille, ballottée, malmenée entre haine et amour. Elle raconte sa construction troublée, son parcours solitaire, écrasée, tout comme son père avant elle, par la violence des adultes, par le poids de son histoire.
Un parcours en lisière de vie, et dont l'issue semble ravageante. « La certitude que je ne pouvais pas me tuer puisque j'étais déjà morte s'est installée par degrés, en même temps que la sensation inexprimable d'être entièrement réfugiée dans une tête gigantesque contenant toutes les vies des vivants et des morts. »
C'est par l'écriture que l'écrivaine entamera le processus de (re)construction.
« Mais Saturne est peut-être aussi l'autre nom du lieu de l'écriture – le seul lieu où je puisse habiter. C'est seulement quand j'écris que rien ne fait obstacle à mes pas dans le silence de l'atone et que je peux tout à la fois perdre mon père, attendre, comme autrefois, qu'il revienne, et, enfin le rejoindre. Et je ne connais pas de joie plus forte. »
Convoquer les fantômes et (ré)apprendre à vivre avec. Un programme salutaire mené avec vigueur par Sarah Chiche.
« L'histoire de la famille de ma mère, je l'ai déjà racontée, ailleurs. Mais j'ai caché le coeur de ce qui m'a faite. Depuis l'enfance, je réponds à ce panneau muet, cette ardoise brandie par mon père sur son lit de mort, ce geste ultime d'écriture. Au départ, les mots manquent. C'est très lent. Sans cesse tout menace d'être détruit, broyé par les pensées qui m'assiègent et me condamnent à n'écrire que par bribes, à ne penser que par fragments. »
〰Elle raconte aussi le colonialisme, le racisme, « [Joseph] a haï Pétain mais se méfie du général De Gaulle. Il a parlé arabe avant de parler français, il se considère comme algérien, pense que les juifs et les musulmans sont frères et qu'au lieu de se battre comme des bêtes les uns contre les autres, le racisme qu'ils subissent de la part des colons comme de l'administration et de la police devrait les inciter à déposer les armes, et à dénoncer, ensemble, le rôle de marionnettes qu'on veut leur faire jouer. », l'exil « car ainsi voguons-nous disloqués dans la tempête des années, otages de la mer sombre où l'exil des uns n'efface jamais celui des autres, coupables et victimes du passé. », la cupidité, la vanité, le misérabilisme du monde.

Des instantanés autobiographiques de vie. Sarah Chiche nous fait entrer dans l'intimité de sa famille, une famille éclatée et c'est un peu comme si nous pénétrions à l'intérieur de leurs âmes, par petites touches intelligemment déposées au creux de ces pages.
C'est un récit bouleversant. La souffrance du deuil prend vie sous la plume de l'auteure, elle est exprimée avec tellement de sincérité, de mélancolie, de vérité que cela en est bouleversant. Pour Sarah Chiche, les « morts ne sont pas avalés, ni par l'eau ni même par la terre. Ils continuent de marcher parmi les vivants ».
« Ce qui tue, c'est aussi la condescendance et le mépris de ceux qui pensent que la douleur d'un deuil qui se prolonge relève d'une paresse de la volonté ou d'une faiblesse complaisante. »
« Nous vivons, en permanence, dans et avec nos morts, dans le sombre rayonnement de nos mondes engloutis ; et c'est cela qui nous rend heureux. »
Les dernières pages de Saturne m'ont émue aux larmes...
« Et sur la route où je pars, seule, mais avec mon père, seule, mais avec ceux que j'aime, seule, mais avec les mélancoliques, les amoureux, les endeuillés et les intranquilles, seule, mais cachée dans la foule des vivants et des morts, tout est perdu, tout va survivre, tout est perdu, tout est sauvé. Tout est perdu. Tout est splendide. »
Un livre dur. Sombre. Un livre beau. L' «histoire du crépuscule d'un monde, de la fosse incurable de nos regrets et d'une maladie mentale, la mienne, qui fut une damnation avant d'être une chance. »
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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