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Critique de Enroute


La très grande force du capital américain a été de comprendre l'intérêt qu'il pouvait prendre à privatiser l'espace public par l'investissement de la presse, des canaux de radio et de télédiffusion et, depuis peu, d'internet. Les annonceurs les premiers, en rendant l'information journalistique dépendante des financements de la publicité, ont orienté lcelle-ci vers leurs intérêts plutôt que dans celle d'une juste information de la population. de fait, les principes de la démocratie qui imposent un système d'information efficace pour la participation politique des citoyens sont dévoyés dès les années 1840. L'apparition des écoles de journalisme dans les années 1920 a imposé l'idée que le journalisme, financé par la publicité, était une source d'information objective. Depuis, la concentration des médias au sein de quelques groupes géants, y compris à l'échelle mondiale (Disney, Time Warner, etc), intégrant une multiplicité de médias (cinéma, télévision, presse, édition, radio...), verrouille l'asservissement du système d'information américain pour le plus grand bénéfice du capital. Un film est décliné en séries télé, bandes dessinées, romans, produits dérivés, et leur promotion est assurée par la presse et la télévision. le but d'un film est ainsi de vendre avec les conséquences que l'on imagine sur la finalité artistique du "produit" et de ses dérivés.

Du point de vue de la politique, l'intégration de la défense du discours lucratif (la publicité) au sein de la Constitution américaine défend on ne peut mieux la saturation de l'espace médiatique par les annonces qui enseignent aux auditeurs ce dont ils ont envie. Les participations financières que les groupes détiennent entre eux achèvent d'anéantir la possibilité d'une quelconque objectivité de l'information. Ainsi, détenus par des intérêts privés, les journalistes répondent aux injonctions de leurs patrons et défendent un système qu'il ne leur vient même plus à l'idée de remettre en cause. Pour cela, le système américain ressemble fort à celui de l'Allemagne nazie, la Russie soviétique et tout régime totalitaire pour qui information et propagande se confondent.

Quant à la population, elle se trouve bien embarrassée car les outils même de l'opposition lui sont ôtés (la CIA ne fait jamais l'objet d'enquête, on ne remet pas en cause les agressions militaires américaines, les tortures, les entorses au droit international...). Pire, elle est endoctrinée pour le compte du capital par la désignation de nouveaux ennemis depuis que le "danger soviétique" a disparu. Saddam Hussein, qui malgré le soutien des occidentaux, n'a pu vaincre l'Iran dans les années 80 se retrouve propulsé ennemi public numéro 1 capable de réduire en poussière l'armée américaine. En cela, la propagande menée était tout à fait en accord avec le modèle lancé par le président Wilson pour l'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Allemagne en 1916.

Aujourd'hui, les perspectives sont sombres car tout laisse à penser que la concentration oligarchique des médias de communication va se poursuivre, à l'échelle mondiale. Son objectif restera le même : divertir la population pour vendre, endormir ses velléités de participation politique et en faire préférablement des spectateurs, lui servir non pas ce qu'elle demande mais ce qu'on lui aura appris à demander. La falsification de l'histoire (enseignement de la guerre du Vietnam), le jeu d'accusation de compromission des journalistes par les conservateurs pour leur permettre de revendiquer une apparence d'indépendance, le silence sur les actions immorales, contraire au droit international ou dénoncés chez les autres Etats, ou encore la désignation de nouveaux ennemis mortels feront partie de cette politique.

La solution pour sortir de ce système serait l'établissement de médias démocratiques serait le partage de financement entre le milieu des affaires et de l'Etat, la promotion d'un espace publique non lucratif, non commercial et non lié aux intérêts de l'Etat, financé par un impôt sur la publicité lucrative et la location des canaux de fréquences de diffusion, ou encore l'interdiction pour une société de posséder plus d'un média. Des organismes de luttes se forment. Cependant, le chemin est encore lointain et la concentration des médias annoncée par l'avènement d'internet (nous sommes en 2000) continuera sans doute encore pour de longues années.

Il est amusant de noter qu'en 2000 les auteurs ne prévoient pas un déploiement "large bande" d'internet à l'échelle mondiale avant 2050 et que les citation des patrons de groupes de communication ne l'envisagent pas comme un système concurrentiel. Par ailleurs, ces réflexions pamphlétaires, si elles touchent, manquent certainement, pour la partie de Chomsky, de références et de précisions (certaines phrases sont mêmes inscrites en discours direct libre si bien qu'on ne sait plus qui parle). Mais il ne faut sans doute pas remettre en cause leur validité du fait qu'on les retrouve (plus posément établies) chez Eric Vigne (Le livre et l'édition), Umberto Eco dans son essai sur Superman (http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1976_num_24_1_1364) ou, en littérature Chloé Delaume (j'habite dans la télévision, les sorcières de la République), Emmanuelle Pireyre (Féérie générale), et, du point de vue de la philosophie politique européenne, chez Jean-Luc Ferry (l'Etat Européen) ou Jürgen Habermas (par ailleurs cité dans l'essai). le pamphlet permet aussi de comprendre pour partie une dérive "populiste" que l'on ne cesse de révéler dans l'espace public français (et européen).
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