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Critique de Antyryia



Ce court roman aurait pu s'intituler "Tireur d'élite français", mais il faut avouer que ça sonne moins bien à l'oreille qu'un titre comme "American sniper", et ce n'est pas son réalisateur qui me contredira.
"... Taisho qui l'appelait à l'aide, cétait comme Clint Eastwood en train de pleurnicher ... assez inconcevable pour filer à son secours."
La voie du talion, c'est pas mal non plus.
 
Si le film évoquait la vie de Chris Kyle à son retour d'Irak, et ses difficultés de réintégration tant vis à vis de son couple que de la société, si l'on sait que les USA sont encore aujourd'hui engagés dans différents conflits au Moyen-Orient, on oublie parfois que les militaires français sont également présents sur différents fronts et ont été déployés au Kosovo ou au Rwanda. En juillet 2010, ils étaient quatre mille soldats de l'hexagone présents en Afghanistan, en guerre contre les Talibans.
Parmi eux Fabrice, certes ici un personnage de fiction mais inspiré d'un contexte bien réel.
Fabrice, c'est un peu le Chris Kyle français, dont le retour à la société est davantage compromis encore.
 
Si quelques flash-backs nous proposent des moments d'amitié entre soldats sur le front ou évoquent les tragédies et les massacres de la guerre, le roman évoque principalement le retour de Fabrice en France, son stress post-traumatique et le gouffre d'incompréhension qui va se creuser entre sa femme avocate Céline et lui.
"Le lit conjugal était devenu une tranchée aussi profonde que les charniers de la guerre."

Et cet aspect est minutieusement abordé, tant du point de vue de l'homme brisé que de l'épouse dépassée et incapable de reconnaître son époux.
Sous l'influence de son amie Cassandre, une belle et mystérieuse psychiatre rencontrée lors d'un procès, Céline va se métamorphoser et fréquenter le monde embourgeoisé de Cannes. Fidèle ( "Mes principes sont plus forts que mes instincts" ), elle va pourtant céder au chant des sirènes et succomber notamment aux avances d'un photographe latino et faire la fête plus que de raison, évoluant désormais dans les sphères riches et artificielles de la haute société. Faut-il l'en blâmer ?
"Le sexe et le vice devenus son opium."

Fabrice quant à lui n'est plus qu'une ombre. Les affres du conflit en Afghanistan de le quittent pas. Il sombre progressivement dans l'alcool ou l'auto-mutilation pour effacer les images sanglantes qui tournent en boucle dans sa tête. Il ne sort plus. S'il le fait en permission c'est pour se retrouver avec les nouveaux amis de Céline aux propos douteux ("comment vous faîtes pour ne pas baiser pendant des mois ?","Les abus sexuels dans l'amée entre mecs, c'est qu'un mythe ?" ). Il ne comprend pas comment un ongle cassé, un portable déchargé, un temps pluvieux peuvent être considérés comme des problèmes par ses contemporains après ce qu'il a enduré au Moyen-Orient. Son besoin de solitude devient maladif. Et puis la situation va empirer. Rien que sortir chercher le pain le plonge dans un cauchemar éveillé, comme s'il n'en faisait pas assez durant les nuits.
"A l'extérieur, un simple bruit lui rappelait les tirs. Chaque coup de klaxon était pour lui une alerte. Chaque frôlement, une agression."
 
Afin d'aider Fabrice à aller mieux, Céline demandera à son ami Cassandre d'intervenir. La couverture résume assez bien les principaux thèmes de ce court roman : le casque et le soutien-gorge sur le porte manteau symbolise ce couple qui ne se comprend plus ( "Chacun inapte à comprendre le language de l'autre", "Leur relation s'était délabrée comme une vieille bâtisse laiséée à l'abandon. Même les fondations étaient atteintes." ) et leur descente aux enfers respective. le fusil à lunette représente le soldat - le sniper - et le fauteuil les soins qui seront prodigués à ce dernier pour l'aider à aller mieux, à se réinsérer. Soins psychiatriques qui seront pratiqués le plus souvent sous forme d'hypnose, dont les bons comme les mauvais côtés nous seront dévoilés. Ce livre est le premier d'une série consacrée à la manipulation sous différentes formes et qui se poursuit avec Entraves.
"Les pouvoirs de l'hypnose sont immenses à qui sait les maîtriser."
 
Pour évoquer ces sujets, Alexandra Coin et Erik Kwapinski ont choisi d'écrire cette histoire sous forme de thriller, plus à même de transmettre leur message. Dès le prologue, on suit un homme qui récupère un cadavre pour le transposer d'un congélateur à un autre. Un asiatique pratiquant les art martiaux comme l'ont fait les auteurs : la sagesse et l'honneur feront également partie des notions abordées.

Les sujets, et principalement celui du stress post-traumatique, sont parfaitement maîtrisés. On ne s'ennuit pas un instant, on s'attache aux personnages principaux malgré leur ambigüité.
Pour l'écriture, je suis plus mitigé. Les phrases sont souvent courtes ( "Tailler. Epurer. Afin que tu puisses renaître. Plus fort encore." ), l'écriture est souvent hachée, ce qui donne une impression constante de nervosité, de tension. Mais l'excellence côtoie les maladresses et je ne saurais dire si c'est parce qu'il s'agit d'un premier livre ou si c'est le résultat d'une écriture à quatre mains.
Quant à l'aspect thriller, le hasard arrange parfois un peu trop bien la succession des évènements pour rendre l'histoire réaliste, et c'est dommage parce que la psychologie des personnages est quant à elle vraiment travaillée, notamment au sein du couple, mais malgré ce réalisme je n'ai pas pu oublier que je lisais une fiction.
Quant à la construction, elle alterne tant les retours en arrière à différentes périodes que les points de vue de chacun dans des chapitres courts, un pari risqué mais réussi.
 
Le bilan demeure donc largement positif dans l'ensemble : lecture agréable aux concepts forts et intéressants, où l'on ressent empathie ( ou dégoût ) envers les protagonistes, où l'on comprend encore mieux le décalage que peuvent ressentir certains militaires à leur retour du front et les dangers de la manipulation de l'esprit. L'aspect code d'honneur du samouraï m'a moins touché mais contrairement à moi, les auteurs connaîssent les bienfaits de cette philosophie.
Je suis confus d'être le premier lecteur à ne pas accorder cinq étoiles mais il ne s'agit pas non plus d'un roman qui va me marquer au fer rouge comparativement à d'autres thrillers, mais davantage à mon sens d'un premier livre très prometteur.
Et pour revenir au titre ... Oui, il y a bien une histoire de vengeance. Peut-être que c'était d'un électrochoc dont Fabrice avait réellement besoin pour refaire surface ?
"Et la seule voie juste était celle du talion. Oeil pour oeil, dent pour dent."
 
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