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Critique de Antyryia



La première fois que j'ai rencontré Christelle Colpaert Soufflet dans un salon du livre, j'ai été émerveillé par les livres étalés devant elle, comme autant de précieux bijoux dont l'écrin pourrait être ma bibliothèque.
Imaginez un peu ce qu'on peut ressentir face à une dizaine de couvertures dans les tons noir et blanc et représentant des cimetières, des maisons hantées, des larmes de sang, des crânes ou de gigantesques araignées ?
J'étais tout excité, forcément ! Ebloui, le coeur gonflé d'espoir, les mains tremblantes, mes petits yeux admiratifs n'en croyaient pas leurs oreilles.
L'atrocité transpirait des pages, l'hémoglobine m'éclaboussait déjà d'écarlate, une colonie de spectres décharnés murmurait à mon oreille "Sors ton portefeuille et achète les tous".

- Ce sont bien des romans d'horreur ? demandais-je, reflétant la parfaite image du lecteur pervers et sociopathe, déjà complice des pires infamies avec l'auteure qui me faisait face.
- Non, du tout, il s'agit de livres policiers, de suspense, avec une atmosphère parfois macabre. Elle me parle aussi de romans inspirés de ses propres expériences, puisque passer des nuits dans des cimetières à l'inquiétante réputation lui a inspiré des écrits dans lesquels transparaissait son ressenti. J'ignore ce que valent ces témoignages romancés, j'ignore également ce que vaut Mémoires assassines, le seul roman que j'ai acheté ce jour-là.
Mais je vais pouvoir vous parler de Tu as oublié, Annabelle.
Je me le suis procuré bien plus tard, mais je n'en n'avais jamais oublié la traumatisante illustration.
Parce que je peux aussi bien être attiré par le nom de l'auteur que par la collection, les critiques ou une simple couverture quand je choisis un livre.

Eh bien on a en effet affaire à un polar. Des meurtres, des policiers, une enquête, une sombre machination : Tous les ingrédients d'un thriller avec ses nombreuses énigmes et autant de rebondissements.
Mais on comprend rapidement que ça n'est pas la motivation première de l'auteure. Elle ne s'embarrasse pas avec les procédures, le roman perd vite en crédibilité avec ses raccourcis, ses facilités scénaristiques. Si vous êtes un lecteur exigeant vous allez avoir les poils qui se hérissent à plusieurs reprises devant autant d'improbabilités.

Mais sans ce livre, vous ne sauriez peut-être pas quelle torture infliger à votre pire ennemi.
Aujourd'hui, les supplices sont toujours pratiqués. On arrache des ongles, on prive de sommeil, on électrocute, on suspend au plafond, on rue de coups, on menace de décapiter femme et enfants. Mais quel manque d'imagination ! Et tout ça pour quoi ? Pour connaître la position de l'ennemi en temps de guerre ? Pour que Jack Bauer puisse empêcher une bombe d'exploser ? Pour montrer ce qui arrive aux incroyants dans ces peuplades où l'homme est tellement terrorisé par la femme qu'il doit la museler pour son bien ?
En tout cas, c'était mieux avant.

Dans l'antiquité ou au Moyen-âge au moins on ne faisait pas semblant, et les ébénistes avaient beaucoup plus d'imagination.
Et puis quand on torturait on ne faisait pas semblant. Ca pouvait durer des jours. Et puis on ne faisait pas dans la demi-mesure. On suppliciait pour tuer.
Christelle Colpaert Soufflet nous fait découvrir quelques extraits de ces jouets parfois méconnus.
Vlad Tepes a rendu au quinzième siècle le supplice du pal très connu mais les Egyptiens en étaient déjà friands dans l'antiquité. C'est pas très compliqué à mettre en place et le résultat est plutôt spectaculaire. Vous prenez un épais morceau de bambou, vous taillez une extrémité ( attention, de façon arrondie de préférence sinon le plaisir dure beaucoup moins longtemps ! ), vous l'enfoncez ensuite dans l'anus de votre victime avant de le planter en terre. La tige mettra plusieurs heures pour perforer le corps de l'intérieur, tous les organes finiront par céder sous la pression. L'agonie sera longue et douloureuse mais devrait s'arrêter un peu avant que le bâton ne ressorte par le thorax ou la bouche.

J'ai aussi fait connaissance du berceau de Judas, et surtout du scaphisme.
Il faut dire aussi que j'ai gardé un humour très pipi - caca.
"C'est le supplice le plus long et le plus cruel qui soit."
Imaginez qu'on vous enferme dans une boite, laissant simplement votre tête ou vos mains immobilisées à l'air libre. Et on vous donne beaucoup à manger. du chou de Bruxelles, des haricots blancs, et autres aliments favorisant le transit.
Dans un vain réflexe de propreté, vous contractez vos intestins, mais à un moment il n'est plus possible de se retenir. Et vos bourreaux continuent à vous donner à manger. Encore et encore.
Simple humiliation ? Oh que non.
Un peu de sucre, de miel ou de lait attirera les mouches coprophages qui auront suffisamment d'espace pour venir se nourrir de vos excréments.
Et pondre.
Comptez environ deux semaines avant que le supplice ne s'achève. La fièvre vous emportera avant avec un peu de chance, sinon vous mourrez dévoré de l'intérieur, les entrailles lentement rongées par les asticots qui vous auront prématurément pris pour un cadavre à nettoyer.

Même si Christelle Colpaert Soufflet ne s'attarde pas sur les descriptions ignobles des cadavres retrouvés, elle ne fait pas non plus dans la dentelle et la cruauté des exécutions des victimes n'est pas la seule touche macabre apportée à Tu as oublié, Annabelle.

Ladite Annabelle, spécialiste des affaires non résolues, qui cache sa véritable apparence sous un style gothique, est totalement fascinée par les araignées. Elle ne se contente pas de les collectionner, ce ne sont pas non plus des animaux domestiquées, mais elle éprouve une véritable affection pour ses pisaurides, son araignée sauteuse, sa mygale ou encore sa veuve noire.
"- Tu n'aimes pas les araignées ?
- Disons que je préfère avoir un chien ou un chat."
Chacune a son petit prénom : Huguette, Kali, Candy, Falabala ... Son espace de vie. de la vermine à chaque repas.
Annabelle possède même quelques phénomènes à la morsure mortelle importés illégalement.
D'où lui vient cette obsession pour les arachnides ?
Pourquoi n'a-t-elle jamais participé à Fort Boyard ?
Le livre ne répondra qu'à une seule de ces deux questions.

Vous je ne sais pas mais moi je déteste ces bestioles.
L'arachnophobie est une peur héréditaire, quasi génétique, et je n'ai pas échappé à la règle. Dès qu'il y en a une un peu trop grosse à l'affût sur un coin de plafond ou courant sur mon plancher, j'ai beau être grand, beau, fort et courageux je suis un instant paralysé avant d''oser prendre ma pantoufle et, dans un élan de bravoure, écrabouiller la bête. Non sans craindre qu'elle ne s'échappe dans un endroit inaccessible pour mieux revenir se promener sur moi pendant mon sommeil, à la recherche de l'endroit parfait où planter ses chélicères.

Le lien d'Annabelle avec nos amies à huit pattes est ancré au point qu'à force de les observer elle en vient à les imiter de façon consciente ou inconsciente.
Elle traque les criminels et relie les indices comme autant de fils autour d'une proie prête à être cueillie dans son cocon. Elle est à classer parmi les prédateurs.
Elle ne couche jamais deux fois avec le même homme et se protège de toute relation humaine affective, ce qu'on peut bien sûr rapprocher des accouplements des araignées. Semblables aux mantes religieuses, les femelles sont prêtes à dévorer le chétif mâle si celui-ci n'a pas eu le réflexe de s'enfuir une fois sa petite affaire accomplie.
Et même la finesse de sa taille peut laisser suggérer une ressemblance : "Svelte et effilée, mystérieuse et inaccessible pour les pauvres êtres que nous sommes ..."

Et puis, comme l'indique le titre, Annabelle a de petits soucis de mémoire.
Alors non, ça n'est pas un début d'Alzheimer, elle ne met pas les clefs de voiture au micro ondes et n'oublie pas de remettre ses tarentules dans leur vivarium lors de ses rares visites.
Par contre tous ces meurtres horribles ont un lien évident avec elle et avec un pan de sa vie qu'elle semble avoir totalement occulté.
"Il fallait trouver ce souvenir qui lui faisait défaut. Elle souffrait, elle se faisait souffrir, et des gens mouraient."

C'est très difficile de donner un avis tranché sur cette lecture.
Alors oui, l'enquête policière ne tient pas la route. Oui, les rebondissements sont parfois téléphonés mais d'autres laissent sans voix et ont au moins le mérite de maintenir un certain suspense du début à la fin. Et quand on veut quand même connaître la suite, c'est toujours bon signe.
Effectivement, Tu as oublié, Annabelle n'est pas un roman d'horreur, mais il s'agit d'un roman noir et dérangeant puisqu'il expose les pires facettes de l'être humain, qu'il explore aussi le désespoir.
"Jusqu'où pouvait aller l'être humain face à sa haine et son désir de vengeance ?"
Quant à la torture ou aux araignées, elles ajoutent une petite touche sinistre mais aussi culturelle dans un livre qui, malgré ses défauts, prend aux tripes à de nombreuses reprises sans exagérer dans l'horreur.
Et si on peut rapidement passer les personnages secondaires, la psychologie de l'héroïne est en revanche très travaillée.

Je dois m'arrêter là, je dois encore trouver un bon menuisier, acheter des bananes et des épinards et trouver un endroit suffisamment à l'écart de toute civilisation pour que les hurlements de ma victime ne soient pas entendues.
Ca gâcherait tout le plaisir.

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