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Critique de berni_29


J'ai ouvert les pages de ce roman prometteur et je suis entré dans La Calanque de l'Aviateur.
Je voudrais vous parler d'une enfant qui perd l'usage de la parole après le choc de voir sa mère disparaître du paysage familial. Il paraît que cela arrive parfois et l'on n'y peut rien. Il faut attendre. Cette enfant grandit alors dans la ville de Nantes avec ses blessures non cicatrisées, cette enfant s'appelle Leena, avec deux « e »...
C'est une famille qui est partie en lambeaux après la fuite de la mère, Sheenan, avec deux « e ».
Je voudrais vous parler des mots de Leena, ces mots qu'elle découvre dans son silence, ces mots qu'elle rencontre dans les livres, ces mots qu'elle pose sur ses blessures. À cela, nous pourrions dire que Leena nous ressemble un peu...
Je voudrais vous parler de l'histoire de Leena, quelques temps plus tard, longtemps après. Son père Blaise est mort peut-être de chagrin.
Le frère unique Jeep, avec deux « e », a continué de brûler ses ailes. Puis il est parti aux États-Unis jouer du jazz, sa passion, déployer les ailes qui lui restaient et les frôler avec la musique d'autres oiseaux, tel que The Bird.
Leena a grandi, elle a continué de souffrir en silence et de s'émerveiller des mots qu'elle collectionnait comme des coquillages ramassés sur le bord d'une plage. Leena est demeurée mutique toutes ces années.
Puis elle a rebondi sur ce rêve étonnant, à la fois projet professionnel, projet de vie, en rachetant une vieille mercerie dans un village à l'ouest du Cotentin. La mercerie, ce n'est pas trop son truc, alors de fil en aiguille, car le lieu s'y prête, elle décide d'en faire une librairie, mais pas que...
Elle en fera un lieu de vie, une sorte de refuge, une maison des livres où les mots seront souverains, un lieu où bâtir un monde poétique. Un lieu à part. Une maison des livres, et non une maison avec des livres, où il fera bon pousser la porter et venir les lire, les emprunter, les acheter, discuter, se disputer, s'enchanter...
Un lieu d'échanges avec des huîtres, du vin blanc et de la fine.
Elle surprend les gens du cru, d'autres s'attachent à elle spontanément. Elle ne sait pas encore qu'elle va tomber amoureux d'un homme qui habite les lieux, les murs, un certain Hugo, ou plutôt son âme, un aviateur de la première Guerre mondiale qui fut une gueule cassée, fils de boulanger, père de la vieille mercière qui tenait la boutique, et qui va, contre tout attente, lui céder son trésor...
Je suis entré dans ce roman avec de la lumière qui se faufilait entre mes doigts au fur et à mesure que je dépliais les pages de cette histoire.
Leena parle avec son corps depuis que les mots se sont refermés dans sa voix d'autrefois, cette voix dont elle a peut-être perdu la mémoire. Sur la plage, elle trace des dessins forcément éphémères avec ses pieds nus. Peut-être écrit-elle des mots ? Il faudrait être un oiseau, un nuage, ou bien un aviateur pour le savoir. Elle seule le sait...
Moi aussi cependant puisque je vous en parle. Je crois bien que ce jour-là si j'avais eu des ailes je me serais jeté de la falaise d'où je l'observais.
J'ai pensé aux récits d'Antoine de Saint-Exupéry, évoquant ces avions qui surgissaient de la nuit et qu'on guidait par des feux dressés sur des rectilignes tracées au sol.
La Calanque de l'Aviateur invite à la joie, à l'hymne des mots, à la tendresse, mais à la résilience aussi, le pouvoir réparateur des mots, à l'endroit qu'il faut guérir, jeter des mots sur des plaies béantes pour les cautériser...
C'est une magnifique histoire de douleurs et de renaissances, peuplée d'une palette de jolis personnages atypiques et attachants, parmi lesquels de dresse la figure d'une soeur et d'un frère que la vie, ses chagrins et ses ronces ont séparés.
Le récit avance et s'étale sur 380 pages qui accueillent, comme des fleurs tombées d'un arbre, de courts poèmes parfois de la taille d'un haïku. C'est beau et on a envie de les noter sur un petit carnet, de les partager à des amis.
Mais voilà, brusquement je me suis un peu lassé de cette lecture. J'ai trouvé que le récit s'éternisait, que la narration se perdait dans un désordre où je ne retrouvais plus mes pas, où l'écriture toute poétique qu'elle était, prenait de plus en plus l'allure d'un exercice de style beaucoup trop chargé. 380 pages alors que 180 auraient suffi... Ces petits poèmes aériens, aérant le texte comme des fenêtres qui, à force de légèreté et de vertige recherchés dans le récit, ont fini par m'agacer, de sorte que je suis resté à l'histoire... J'ai eu l'impression d'être davantage dans une librairie à lire de jolies phrases suspendues sur les murs qu'emporté par le chavirement d'une histoire et de ces personnages fous.
Ce sont trop de pages qui auraient pourtant offert l'espace suffisant pour nous faire effleurer mieux l'aspérité de tous les personnages de ce roman. Avec 180 pages sans fioritures et allant à l'essentiel, perçant le coeur comme une vrille, Anabelle Combes en aurait fait un quasi chef d'oeuvre. Perçant le coeur, oui mais lequel ? Celui des personnages ? le nôtre aussi sans doute, sinon nous n'existerions pas...
Il y a eu pour moi, lecteur, cet instant déchirant où je tenais encore les doigts fragiles de Leena dans ma main et déjà je voyais que je ne cherchais plus à la retenir dans ces vents contraires plus forts que nous...
Je préfère les patchworks sur les lits et de préférence chez mes amies que chez moi...
Bref ! Ce roman est à la fois une belle promesse, avec deux "e" et un rendez-vous manqué, sans elle.

♫ Comme un avion sans aile
J'ai chanté toute la nuit ♫
♫ J'ai chanté pour celle
Qui m'a pas cru toute la nuit ♫
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