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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2023 # 35 °°°

En garde est né d'un événement réel survenu dans la vie de l'autrice. Au sortir du premier confinement, Amélie Cordonner a été dénoncée par un appel anonyme passé au 119, à la protection de l'enfance, soupçonnée du jour au lendemain de maltraitance sur ses deux enfants. Un choc, une déflagration qu'elle raconte remarquablement dans la première partie de façon à la fois très factuelle et très intime. Elle décrit très précisément la sidération, « horde déchaînée de peurs, difficiles à tenir en laisse et impossibles à faire taire, qui aboient à la mort non-stop. », avec la prose nette et incisive que j'avais déjà appréciée dans ses romans précédents.

Mais malgré son point de départ autobiographique, En garde est pourtant bien un roman. Amélie Cordonnier s'empare du traumatisme vécu pour faire basculer son récit dans une deuxième partie fictionnelle aux airs de thriller domestique dystopique au-dessus duquel plane l'ombre de 1984.
En fait, ce n'est pas raconter sa vie qui intéresse l'autrice mais plutôt interroger sur la question de l'intimité et de la surveillance dans nos sociétés actuelles. En fait, la deuxième partie n'apparait pas si dystopique que cela, si on songe que ce qui est imaginé ressemble fort aux protocoles mis en place par la dictature chinoise pour surveiller, persécuter et faire plier la population ouïghoure.

Amélie Cordonnier cite le philosophe Michaël Foessel : « L'intime est la part de l'existence sur laquelle ni l'Etat, ni la société, ni la médecine ne devrait avoir d'autorité. » Et c'est avec beaucoup d'acuité allié à un humour acéré qu'elle pousse les curseurs dans un délire kafkaïen lui permettant de décortiquer les ressorts d'un individu, d'un couple, d'une famille face à une société paranoïaque devenant de plus en oppressante et injonctive.

« Je pense aux hommes et femmes des tableaux de Hopper, seuls, assis au bord du lit ou du canapé, tête baissée, épaules voutées, et j'envie l'abandon de leur corps qui, une fois la porte fermée, échappe à la société, se dérobe à ses regards autant qu'à ses jugements. C'est de relâchement que nous sommes privés. »

Les sentiments et émotions sont ainsi mis à nu au scalpel jusqu'à l'absurde. Je regrette toutefois une fin un peu fade par rapport au piquant du corps narratif, un peu expédié aussi. Mais si je dois apporter un vrai bémol à cette lecture, il vient de la réception du roman et de sa compréhension. Ce bémol est apparu bien après ma lecture, en lisant des chroniques de lecteurs ( assez nombreux ) qui n'ont pas perçu la dimension fictionnelle de la deuxième partie et ont cru que ce que décrivait Amélie Cordonnier, le flicage délirant de sa famille, avait réellement eu lieu.

Cela m'a dérangée car cela laisse penser qu'en France l'ASE ( qui connait de vrais dysfonctionnements, certes ) peut agir de façon dictatoriale totalement folle. Cela m'a dérangée car cela signifie que l'autrice n'a pas été assez claire pour rendre son écrit lisible et éviter cet imbroglio. Et cela compte la réception d'une oeuvre au-delà de sa qualité littéraire intrinsèque. Bref, reste un certain malaise, pas totalement dissipé, après une lecture que j'ai vraiment appréciée sur le coup. Rare qu'une lecture me laisse aussi perplexe et partagée.
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