AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


De pierre et d'os est l'histoire d'une jeune fille Inuit, Uqsuralik, qui se retrouve une nuit coupée du reste de sa famille par la fracture brutale de la banquise. Son père a juste le temps de lui jeter au-dessus de la faille qui s'agrandit et les sépare à jamais, une peau d'ours, un harpon, une réserve de graisse et son propre collier avec une dent d'ours, une sorte d'amulette en cadeau d'adieu et aussi pour la protéger, peut-être l'objet le plus précieux en terre arctique avec son couteau en forme de demi-lune.
Cette fracture, c'est comme celle qui sépare l'enfance de l'âge adulte. Uqsuralik n'a pas d'autres choix que d'avancer. Elle va devoir survivre sur ce territoire glacé, peut-être hostile. Elle s'en va avec quelques chiens qui étaient près d'elle au moment où la banquise s'est brisée.
C'est une survie tout d'abord solitaire. La menace de mort rôde toujours à quelques arpents de là.
Puis elle rencontre des femmes, des hommes.
Certains sont malveillants, comme le Vieux. D'autres au contraire vont devenir très proches d'elles, comme Sauniq, se révélant comme une seconde mère pour elle. Uqsuralik va peu à peu reconstituer une autre famille avec certains d'entre eux, tenter de combler le manque de celle qu'elle a laissé de l'autre côté de la banquise fracturée.
Les animaux et les esprits sont très présents dans ce roman.
Des renards blancs, des phoques annelés, des ours, des caribous.
Pêcher la truite rouge.
Il y a les chiens qu'on attèle à un traîneau avant de s'élancer dans le matin blanc et infini.
Il y a la faim, le froid, le péril à cause des animaux, des hommes aussi.
Les rencontres avec les autres la révèlent à elle-même, mais aussi dans son cheminement à la vie et vers un destin chamanique qui l'appelle par-delà les glaces.
Des récits de chasse épiques peuplent les veillées, d'autres récits de ces veillées disent aussi les voyages, les périls, la traversée des glaces.
Et puis des chants se glissent entre les pages, rythment au gré des chapitres le parcours initiatique de Uqsuralik.
Parfois ces femmes et ces hommes passent de longs moments à contempler le ciel, les pierres, le mouvement de l'eau et de l'air.
Bérengère Cournut a une manière très belle et très poétique de dire la relation très forte que des personnages peuvent avoir avec le paysage qui les entoure, la pierre, l'eau, la glace, le vent, la blancheur du ciel, l'horizon presque invisible qui parvient à peine à se détacher au loin, entre ciel et glace. Le paysage de ce roman est un personnage à part entière.
Ici on compte le temps en lunes, en saisons, en solstices.
Uqsuralik est envahie par le sentiment que chaque saison qui vient sera la première et c'est peut-être cela qui l'a fait survivre et avancer vers son destin.
Ici c'est la lenteur, la blancheur, quelque chose de totalement intemporel coupé du reste du monde, une sorte d'apesanteur dans un territoire extrême où il faut survivre. Nous sommes loin du bruit dérisoire de nos vies. Ne nous trompons pas, le monde que nous décrit Bérengère Cournut est un monde hostile, où il faut survivre à chaque instant.
Mais ce récit m'a fait du bien, peut-être parce que Uqsuralik ne pleure jamais sur son sort, mais sans doute pour autre chose aussi...
J'ai aimé ce livre qui nous fait faire un pas de côté insolite, découvrir une culture, des rites en totale cohésion avec la nature, nous rappeler avec une infinie douleur les gestes que nous avons peut-être définitivement perdus.
Au gré de ce voyage en terre arctique, quelques citations inoubliables de ce livre nous aident à nous détacher encore plus de notre univers parfois en perte de sens : « Durant ma longue nuit d'Inuit, j'ai appris que le pouvoir est quelque chose de silencieux. Quelque chose que l'on reçoit et qui - comme les chants, les enfants - nous traverse. Et qu'on doit ensuite laisser courir. »
Et parfois, l'une d'entre elle nous ramène à la fragilité de notre environnement : « Une vieille raconte aussi le grand voyage qu'on fait ses parents bien avant sa naissance, les périls qu'ils ont endurés en traversant les glaces. Il paraît qu'à une époque reculée, on pouvait rejoindre en hiver une île lointaine où le gibier abonde. Depuis, les courants en changé, et il n'est plus possible de s'y rendre en traîneau. Ainsi se meut notre territoire - dans une grande respiration qui nous entraîne. »
Le paysage que nous décrit Bérengère Cournut est-il à ce point si éloigné du nôtre ? Ou plutôt de celui que nous rêvons parfois de retrouver ?
Ce récit m'a ramené au souvenir d'un livre d'une richesse infinie, lu il y a plus de trente ans, Les derniers rois de Thulé, de Jean Malaurie, merveilleux ethnologue des terres polaires.
Justement, un carnet de photographies prises au début du XXème siècle conclut en beauté le roman de Bérengère Cournut.
Ici dans ce livre, les esprits nous frôlent, parfois nous ignorent ou nous abandonnent, peut-être reviennent plus tard entre les pages pour nous accompagner une dernière fois un peu plus loin.
Commenter  J’apprécie          447



Ont apprécié cette critique (41)voir plus




{* *}