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Critique de jocelynev


Je relis avec beaucoup de plaisir ce livre qui m'a cueillie durant la pandémie. Il permet de vivre les émotions et les blessures qui leur sont associées à travers ce beau personnage de Uqsuralik. Abandon, rejet, humiliation, trahison et injustice se succèdent au coeur du vivant radical de la banquise, dans ce Grand Nord qui suscite en moi autant d'attirance que de répulsion. Cette femme forte et sauvage qui vit au fil des pages un parcours de femme, de mère et de chamane est vraiment attachante et stimulante. Les chants se succèdent pour faire avancer le récit qui constitue des moments de vie marquants. Ces chants donnent la parole à d'autres personnages et la décentration ainsi élaborée par rapport au personnage principal est une belle trouvaille narrative qui correspond exactement à une vision large quasie anthropologique de cet univers qui ainsi mis en mots devient à portée de conscience et d'imaginaire. Ce livre m'apparaît lors de cette seconde lecture comme un véritable manifeste de l'écoute qui peut s'établir entre les vivants, homme -femme-animal-territoire, pour permettre la vie, le lien, l'échange tout autant que l'acceptation des épreuves et de la mort. Cette dernière n'est jamais une fin et intervient pour renforcer les liens, recomposer les filiations, réparer les injustices et maintenir la vie la plus harmonieuse possible. C'est une véritable philosophie de vie qui nous est transmise au fil des réflexions de Uqsuralik : « De mon côté, je suis envahie par le sentiment que chaque saison sera la première. » (p200).
Quel bonheur de lire la description de cet orage qui déchire l'héroïne et qui l'accompagne lors de l'accouchement poétiquement raconté de ses deux bébés, puis du retour du père! Ces quelques pages sont suivies du chant du père, Naja, qui narre son histoire, l'abandon de sa première famille et l'appel de la mer qui lui envoie en vision trois bélugas. C'est alors l'ensemble du livre qui s'unifie et unit le monde humain et le monde animal au coeur de leur territoire - Nuna- qu'il a fallu parcourir tout en apprenant à en décoder les signes aussi subtils soient-ils .
Bérengère Cournut n'hésite pas à donner jusqu'au bout la parole à son héroïne qui met en garde :
«  Ces gens habitent et colonisent un imaginaire qui ne leur appartient pas. » (p218).
Mais qui rassure aussi :
«  Durant ma longue vie d'Inuit, j'ai appris que le pouvoir est quelque chose de silencieux. Quelque chose que l'on reçoit et qui - comme les chants, les enfants - nous traverse. Et qu'on doit ensuite laisser courir. » (P218).
A l'issue de cette lecture revigorante et passionnante, la lectrice que je suis reste toute empreinte de cette incroyable femme qui de métamorphose en métamorphose sculpte ce paysage de neige et de mer d'une manière si délicate et subtile. Uqsuralik est à l'image de l'écriture de Bérengère Cournut imprimée sur ces pages épaisses de l'édition grand format du Tripode que j'ai le plaisir de tenir entre les mains. le carnet photographique qui s'achève sur la photo du « masque utilisé par le chaman eskimo pour rechercher la cause de la maladie » de la Wellcome Collection Gallery résonne parfaitement avec un dernier chant qui évoque précisément la fille d'Uqsuralik, Hila, alors que le livre raconte l'histoire de sa mère. Je peux sans cesse établir des liens nouveaux entre cet incroyable travail de recherche et d'imprégnation réalisé par l'autrice et ses personnages qui sont porteurs de soin pour l'âme. Un très beau et fort roman qu'il faut prendre le temps de relire pour en apprécier toute la sève.
Revenue ravie de deux jours au Musée Confluences à Lyon autour des peuples autochtones du Grand Nord et avec le petit livre Oraison Bleue, de Bérengère Cournut également, je perçois combien l'aide, qu'elle apporte à la famille dont elle parle, est riche et s'origine dans la lecture, l'écriture et l'imprégnation de cette culture Inuit.
De plus, je sais désormais encore davantage pourquoi je peux dire que la littérature m'a sauvée et je sais pourquoi je veux transmettre ce message; la littérature peut aider à soigner les blessures de l'âme en les identifiant et en trouvant des moyens de transformation incroyables grâce aux contes, à la lecture et à l'écriture, à l'art en général. Une merveilleuse lecture pour moi.
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