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Critique de Godefroid


5e titre publié par Harry Crews aux Etats Unis, Car est le premier roman de l'auteur traduit en français (sous le titre "Superbagnole", chez Albin Michel en 1974). le lectorat francophone a donc découvert la faune crewsienne avec cette histoire de pauvre type illuminé qui s'est mis en tête de manger complètement une Ford Maverick dernier modèle.

Herman Mack est l'un des trois enfants du propriétaire de la plus grosse casse automobile de l'état. Les enfants ont donc grandi à Jacksonville, au milieu des épaves. Alors que Mister et Junnel mettent la main à la pâte et font tourner l'entreprise avec leur paternel, Herman ne fait rien, n'a envie de rien. C'est le rêveur de la famille, à l'affût de la grande idée qui apportera célébrité et fortune à la famille. Il faudra à Herman Mack plus de 10 ans pour parvenir à faire transiter la Ford à travers son organisme, au rythme qu'il s'est fixé. Herman devient une icône, un symbole acclamé comme un phénomène de foire ; il est aussi et surtout une métaphore de l'impasse dans laquelle se rue la société américaine, maladivement rivée à l'automobile comme incarnation de la sacro-sainte liberté individuelle que rien ne doit entraver. Une illustration rutilante du rêve américain qui n'est en réalité qu'un poison lent et contagieux.

Si le père se trouve anéanti par la décision de son fils, décision qu'il ne comprend pas et qui inexplicablement le révulse, Herman ne fait au fond que décliner à sa manière la vocation familiale inculquée par le chef de famille. Une famille qui depuis toujours tire ses revenus de carcasses ramassées dans les carambolages, d'amalgames froissés et fumants qui trop souvent voient la chair humaine se mêler à l'acier dans une épouvantable intimité. Il n'y a qu'à voir saliver Junnel lorsque la radio annonce une catastrophe autoroutière ; pour être la première sur les lieux, elle s'y précipite dans une dépanneuse boostée comme un bolide de compétition. Sur place, elle y rencontre Joe, un flic de patrouille avec qui elle s'échauffe sur une banquette arrière après avoir vu périr dans les flammes une petite fille affolée prisonnière des tôles. Toute l'histoire est là, dans cette scène paroxystique du 4e chapitre : les Mack se repaissent de voitures accidentées qui ne s'offrent à eux qu'après avoir pris des vies humaines. Acclamée comme instrument de liberté, la voiture devient un instrument de mort, médium d'un vampirisme nouveau né avec l'ère industrielle et la société de consommation. La démarche apparemment insensée de Hermann prend alors une dimension symbolique très forte : en avalant une splendide Ford dernier modèle morceau par morceau, il remet l'homme à sa place en lui redonnant l'ascendant qu'il avait abandonné à la machine.

Rien d'étonnant à ce que ce soit le personnage le plus fêlé dans les apparences qui fasse le choix le plus humainement sensé à la fin. Un texte ravageur, pas aussi déjanté que ça dans le fond.
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