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Critique de catlo2


Si le propre du fantastique est d'introduire un grain d'irrationnel dans les rouages du réalisme et de semer le doute et l'effroi dans l'esprit du personnage, Yves-Daniel Crouzet se révèle un virtuose du genre. En pire. Il joue avec, il s'en amuse, il le dévoie à l'envi. L'exemple le plus probant est indéniablement celui de la nouvelle qui donne son titre au recueil, « La plus grande ruse du diable ». Réaliste au début, elle devient fantastique à la faveur de l'imagination débordante du narrateur, auteur de surcroît – on aura deviné son genre de prédilection –, puis redevient réaliste grâce à un imprévu rebondissement qui lui fait comprendre sa méprise, pour basculer de nouveau dans le fantastique après qu'il s'est souvenu de ce que lui disait sa grand-mère : « La plus grande ruse du Diable, c'est de faire croire aux gens qu'Il existe pas ». le personnage-narrateur est en proie ici à des changements de perspectives, les mêmes que ceux que nous fait subir l'auteur. En d'autres termes, il nous promène. Pour notre plus grand plaisir de lecture, car aucune nouvelle ne ressemble à une autre, toutes sont de petites perles à découvrir, les yeux écarquillés.
En effet, Yves-Daniel Crouzet mêle audacieusement les genres, créant des associations tout à fait étonnantes. Ainsi une nouvelle fantastique devient-elle allégorique, comme « Cat People » où un père et son fils tentent d'échapper aux Chats, d'effrayantes créatures meurtrières dont les descentes nocturnes ne sont pas sans rappeler les terribles rafles de l'Histoire. Une autre entremêle SF et fantastique comme « le retour de Mamie Framboise » où un couple fait appel à la Clinique de la Renaissance et de la Seconde Chance pour faire revivre feu la mère de madame (toute allusion à Feydeau est tout à fait fortuite). Un polar, « Les Griffus », tourne au fantastique gore, au cours d'une enquête sur des blessures relevées par la maîtresse sur le corps de son élève. « Martin » dont le réalisme s'épuise jusqu'à un absurde kafkaïen, met en scène le personnage éponyme se décuplant à l'infini. Mieux encore, une parodie de récit fantastique ! le genre mis à l'épreuve dans « La transmigration de Charles Edberg » qui tourne en dérision les récits ésotériques. Pétillant et jubilatoire !
Yves-Daniel Crouzet, il faut bien le dire, fait voler en éclats les catégories littéraires, martelant ainsi que, oui, la littérature, c'est avant tout du vivant. Il nous le ressasse depuis le premier mot jusqu'au dernier. Et c'est pour cette raison que, pour lui, faire de la littérature, ou si vous préférez, écrire, c'est encore la meilleure façon de conjurer la mort.
Oui, mais si ça ne marchait pas ? se demande-t-il, par pur plaisir du frisson. Si un autre grain se glissait dans la machine à écrire des histoires et mettait en péril son action préventive ? Il n'en faut pas davantage pour la remettre en marche. C'est tel auteur de récits fantastiques, décédé en pleine élaboration d'un récit, que sa fille, possédée par l'inspiration, viendra achever dans « L'appartement du père », ou tel autre, Yves-Daniel C… (!), retrouvé sans vie sur le clavier de son ordinateur, terrassé par une de ces muses moins inoffensives que les autres, « plus inquiétantes, perverses, dangereuses [qui] se meuvent dans de sombres abysses. » Cette inspiration assassine de « La pêche aux muses », en clôture du recueil, renvoie évidemment au « démon qui hurle dans votre tête », évoqué dans « le rêveur aux pieds d'argile », en ouverture du livre. Dans ce récit d'une pudeur délicate, le narrateur, derrière lequel se distingue nettement l'auteur, tant la transparence est grande, relate l'épisode inaugural, fondateur, de son écriture : le décès de son ami, alors qu'ils étaient tous deux adolescents et inséparables. « Et trente ans plus tard, c'est toujours et encore la voix d'ange déchu de mon ami Camille, qui murmure à mon oreille et me pousse à écrire. » le souffle de l'inspiration se substitue à celui de l'expiration.
Une fois encore, Yves-Daniel Crouzet joue avec les codes du genre pour le teinter ici d'autobiographie. La ligne droite, c'est la mort, nous laisse-t-il entendre. Faisons-lui confiance pour continuer à la forger, encore et encore, malicieusement, en de diaboliques arabesques.
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