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Critique de Pitchval


Quel Individu ne s'est pas, en songe, figuré appartenir à une sorte de société, secrète ou non, de gens élevés, supérieurs, d'intellectuels non de façade mais de profondeur ? Quel sage ne rêve pas de s'accomplir et de se surpasser parmi un groupe de gens qui lui ressemblent, tous aussi attirés que lui par les hauteurs, tous aussi travailleurs et artistes ? Quelle émulation, quelle saine compétition ce doit être de se sentir appartenir à une communauté d'individus ambitieux, réfléchis, férus d'art et de philosophie tout comme soi. Ah ! Cette exaltation d'avoir enfin des semblables, de quitter la solitude des sommets !
Voilà ce qui arrive à Raphaël, ingénieur passionné de lettres, homme qui ressemble peu au commun par son caractère et par sa façon d'occuper son temps. Raphaël lit, travaille, étudie, réfléchit, et plus encore sur son temps libre qu'au travail. Voilà comment on reconnaît un individu soucieux de s'élever : son emploi ne lui est pas sa plus grande source de fatigue et d'efforts. Non qu'il n'y fasse rien (au contraire !) mais plutôt qu'il se surpasse au surplus en dehors, et pour sa propre grandeur.
Un fantasme, même s'il s'agit d'un fantasme de grandeur, ne doit-il pas rester ce qu'il est ? Qu'est prêt à sacrifier un homme pour une belle émulation intellectuelle ? Son mariage, ses enfants, sa sécurité, ce qu'il croyait être sa personnalité ? Possiblement aucun de ces éléments de confort, si la question lui est posée. Cependant, c'est tout ce que Raphaël perdra, et malgré lui, parce qu'il aura voulu se grandir au sein d'un cercle d'ambitieux et de subtils esprits.
Homme instruit, amoureux de belles lettres et doté d'une belle érudition ( l'explicitation de vers de Milton en est témoin notamment), Raphaël tient un blog, très peu commenté comme le sont souvent les blogs un peu supérieurs, peu accessibles au commun qui n'y trouve pas sa distraction sans effort. Un jour, un commentaire l'interpelle, et même : son auteur désire le rencontrer. Sans doute un peu grisé d'intéresser au moins quelqu'un et curieux aussi de découvrir qui se cache derrière cet étrange lecteur, Raphaël accepte. C'est le point de départ à la fois d'une nouvelle direction dans son existence, mais aussi - ce qu'il ignore- de sa singulière renaissance.
L'auteur connaît sans conteste les femmes, notamment les épouses. Il décrit celle de Raphaël avec une belle justesse, d'une façon peu élogieuse et cependant très neutre et vraisemblable : ses remarques cinglantes quand le mari n'est pas avec elle, le fait qu'elle le traite comme un gosse, le rappelant à l'ordre quand il reste trop longtemps sur un écran. le regard noir d'une femme mécontente, qui boude, qui veut diriger, soumettre l'homme, le domestiquer. L'auteur est-il misogyne ? Non, il est objectif, de cette lucidité froide qui rend légèrement misanthrope, puisqu'il n'épargne pas le mari : en réponse, l'époux se laisse traiter comme un adolescent, fait les courses quand la femme lui tend la liste. Même un homme intelligent, même un esprit libre devient domestique, et bien volontiers, par habitude ou pour ne pas provoquer une dispute. Est-ce de la lâcheté ? Oui, un peu. C'est disons une façon de continuer à s'assurer un certain confort, un pacte avec son intégrité : « je cède et j'ai la paix ».
Le récit de la séparation du couple est psychologiquement fin aussi : Ingrid, qui avant était une sorte de maniaque dans le contrôle de son mari, se désintéresse soudain de ce qu'il fait, le laisse à ses occupations égoïstes. Comportement anormal, à moins qu'elle ne s'intéresse à un autre homme, qu'elle tisse sa toile ailleurs, qu'elle surveille, en mère possessive, un nouvel amant. de même que l'ambivalence des sentiments de Raphaël quand il est quitté est explicitée de manière perspicace : c'est alors une lutte intérieure en sa raison (c'est un sage en idées, un homme supérieur en pensées) qui lui dicte d'être philosophe, et ses passions qui lui soufflent des plans de sournoise et vile vengeance. Même ce détail, très bien amené par l'auteur, est révélateur d'une fine observation et d'une étude psychologique juste : l'homme s'offusque un temps d'être quitté tandis qu'il s'est permis d'avoir des amantes. Voilà tout le dualisme dans une relation amoureuse : le premier élan serait de reprocher à l'autre ce que l'on devrait, en partiale objectivité, aussi se reprochez à soi-même.
Grâce au cercle, Raphaël évolue : devenu plus intègre, se refusant à présent à n'être plus sincère au travail, il s'attire les foudres hypocrites et sournoises de la masse de ses collègues. C'est fin : voilà ce qu'il advient de qui se tient, impeccable et Individu, incapable de jouer ce jeu bête des paroles proverbes auprès de ses collègues. Il est lâchement dénoncé, sournoisement accusé, décrié de concert. Non que son propos ait réellement choqué : c'est plutôt son individualité qui humilie, son manque de solidarité qui contrarie les sots. Voilà qui est strictement exact, foncièrement vrai, très bien observé et analysé par l'auteur. Voilà ce qui rend le roman enthousiasmant : cette hauteur, ce regard neutre et rude sur le contemporain. Seulement, c'est bien la pensée de l'auteur que l'on y lit avec exaltation, et c'est là une faiblesse du roman : le personnage est en deçà des pensées que l'auteur lui prête. Raphaël est décrit comme un être perspicace, intelligent, vif. Il éprouve ce besoin de « plus » que son statut de père, d'époux et d'ingénieur, de s'élever par autre chose de plus personnel, de plus égoïste et exigeant, et par l'effort. Les gens du cercle l'admirent pour ce qu'il est : un homme sage, méticuleux et perspicace. Il est l'élu. Et cependant c'est peu crédible en ce qu'il n'est pas, pour des choses simples, bien visionnaire ou bien avisé. Raphaël ne se doute de rien, subit presque les événements sans être capable de les anticiper, au point que s'en est agaçant pour un lecteur qui a deviné, et à qui l'on a « vendu » un personnage élevé. D'abord pour l'amant de sa femme, ensuite pour les circonstances de la mort de Grégoire, puis encore pour d'autres faits de plus grande importance. le voilà presque sot, du moins aveugle, ce qui rend bancale une partie de l'intrigue : comment peut-il susciter l'admiration, comment peut-il avoir été choisi, sans être plus visionnaire qu'un autre, en se laissant dépasser par des événements qu'il aurait facilement pu prévoir ?
Si la lecture du roman est agréable, le style manque terriblement de personnalité. J'ose même : l'ensemble manque cruellement de style. L'auteur use (et abuse ?) de façon récurrente d'expressions communes, sortes de proverbes importuns dans un roman aux idées élevées. J'en ai relevé quelques-unes pour ne pas paraître cruelle ou sembler exagérer : « un feu d'artifice d'émotions », « tout allait pour le mieux, dans le meilleur des mondes», « refaire le monde », « clair comme de l'eau de roche », « la cerise sur le gâteau », « tomber des nues », « la vie reprenait son cours », « prendre le taureau par les cornes », l'esprit « en pilotage automatique », etc. Cela enlaidit l'ensemble, évidemment, et gêne un lecteur un peu pointilleux. le style est comme le miroir d'un esprit, son ostentation, la tangibilité d'une personnalité. Là, l'écriture comme art me paraît peu travaillée, le tout est agrémenté de facilités, de tournures communes, ce qui affaiblit un peu la portée du fond, rendant le roman trop « commun », trop contemporain de forme. C'est dommage.
Néanmoins, c'est bien une oeuvre un peu nietzschéene : l'homme se révèle dans sa toute puissance une fois qu'il s'est affranchi des femmes, de toute attache, de morale et même de son identité. Tél un phénix, il renaît de ses cendres après avoir tout perdu, sans une larme et de la plus élégante façon : couvert d'un superbe chapeau.
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