AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de karmax211


Parmi les romans noirs de Frédéric Dard, certains sont plus noirs que d'autres et quelques-uns, dont celui-ci, ont un parfum de sang, de stupre et de foutre... quand ce n'est pas celui d'un ondinisme non consenti... comme le fait remarquer justement un des billets qui ont précédé le mien.
Il y a dans ce roman un échantillon presque complet de toutes les perversions humaines, de toutes les noirceurs de l'âme, un catalogue ( non exhaustif ) d'une humanité dépourvue de " surmoi ", prête à la damnation et susceptible de candidater pour n'importe lequel des sept cercles de l'Enfer.
Un triangle " bermudien " relocalisé entre le Maroc, la Suisse et le Liban.
Embarquement pour le pays où les monstres ont quelquefois besoin de Kleenex !

Un jour d'été des années cinquante, Abel Creusemard, comédien has been, atterrit à l'aéroport de Genève en provenance de Marrakech.
Outre sa valise, il traîne avec lui une lourde cantine... un peu comme on traîne un passé pesant dont on ne peut se défaire.
Avec la monnaie qui lui reste, il parvient à trouver une consigne pour cette malle encombrante.
Avec ses dernières piécettes, il tente un appel téléphonique désespéré...
Son interlocuteur ayant raccroché prématurément, la machine lui rend un peu de sa monnaie ; comble de l'inattendu... elle lui rend davantage que son paiement initial. En cause, les utilisateurs pressés qui ne s'attardent pas...
Fauché et seul dans ce pays où il n'a aucun point de chute, il fait le tour des téléphones publics de l'aéroport et " ramasse " encore des sous... jusqu'à une cabine, un téléphone dans la boîte duquel une coupure de vingt francs suisses a été laissée sous la forme d'un billet plié comme un petit bateau...
Laissée par qui ?
Abel ne tarde pas à identifier l'auteure du " canular " en la personne de Sophie Hermann, une très belle jeune femme, antiquaire de profession, laquelle se rend en villégiature à Gaatenbach, station très prisée des vacanciers fortunés venus des quatre coins du monde.
Elle se dit lasse de conduire et propose à Abel d'être son chauffeur jusqu'à l'hôtel.
Une fois arrivés, chacun sa route, chacun son chemin...
C'est sans compter sur le sort, lequel comme chacun sait, est un chemin pas toujours pavé des meilleures intentions...
À la station, Burger, le directeur de l'hôtel, reconnaît le comédien pourtant tombé dans l'oubli.
Il faut dire qu'Abel est un très bel homme et que le Maître de plaisir du directeur a fait défection...
Or le bon air, la beauté des lieux ne sont pas les seuls éléments qui fidélisent la clientèle et en particulier certains couples, certaines vieilles dames...
Ayant eu connaissance de la situation d'Abel, le directeur lui demande de remplacer l'ex-Maître de plaisir.
Son travail consistera à distraire la clientèle ; danses de salon le soir...leçons de tennis dans la journée.
Abel accepte et dès le premier soir devient l'objet de toutes les convoitises de la vieille madame Kabbouk, Véra pour ses intimes, une Libanaise... " d'ailleurs, moche, elle ne l'était pas tellement. Elle avait dû être très belle jadis, d'une beauté fracassante dont il lui restait des miettes malgré les fines rides striant son visage ", flanquée de son mari... " un gros type chauve avec des paupières de batracien, des yeux globuleux surmontés de sourcils en accent circonflexe et des mains baguées de diamants monstrueux. le plus écoeurant chez cet homme, c'étaient les poils de sa poitrine. de longs poils blancs qui ne frisaient pas et faisaient songer à de la fourrure mouillée. Il dégageait en outre une odeur désagréable, à la fois forte et fade..." ", impuissant et de leur chien, un yorkshire nommé Diabolo.
Du désir au plaisir, il n'y a qu'un pas que franchit vite Abel.
Véra ne peut bientôt plus se passer de ce beau blond, toujours prêt, infatigable, une " sex machine " hantée par la voix lascive et obsédante d'une petite marocaine qui lui répète inlassablement " Donne-moi un dirham, m'sieur"...
Après ses nuits à l'hôtel, à trois heures du matin, le Maître de plaisir se rend tous les jours à l'aéroport de Genève pour aller mettre trois pièces de vingt centimes dans la consigne contenant son coffre.
Lors d'un de ses mystérieux allers, Sophie le surprend et l'interpelle " qu'y-a-t-il dans ce coffre ? "...
À vous de voir !

C'est un des " noirs " de Dard qu'on ne lâche pas.
Il se lit quasiment d'une traite.
Il est, comme je l'ai mentionné, sulfureux, haletant, plein de rebondissements... même s'il faut consentir à quelques invraisemblances ( la malle, le chien, la fin d'Éva et la chambre froide...).
Les personnages ont du " character " ( pardonnez-moi...). Ils ont du relief, du corps, du tempérament. Ils donnent, ils se donnent et on prend.
Ce qui m'a le plus étonné, c'est que beaucoup ne semblent retenir de ce roman que son côté licencieux, libidineux, érotomaniaque.
Certes, la sexualité suinte à travers tous les pores de chaque mot écrit par la plume d'un auteur qui va bien au-delà des pulsions qui nous habitent.
À commencer par notre rapport auxdites pulsions.
Dans - le premier homme -, Camus écrit : " Non, un homme ça s'empêche. Voilà ce que c'est un homme, ou sinon…".
Sinon, il lui arrive ce que vous découvrirez en lisant - le Maître de plaisir -... un noir de Dard qui a cette spécificité - je parle pour moi -, c'est que comme tous les noirs de Dard, il s'imprime durablement dans notre cortex...
Et question que je pose en passant... que penserait-on d'un roman comme celui-ci sortant à notre époque où les cartes d'une certaine morale sont constamment rebattues ?




Commenter  J’apprécie          333



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}