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Critique de Patsales


Francis Cornish est un homme remarquable. du moins est-ce son daimon qui l'affirme, son daimon, c'est-à-dire son génie protecteur. Non pas sa conscience qui, coiffée d'une auréole, l'inciterait à suivre l'ennuyeuse morale chrétienne, mais son destin providentiel, sa « conscience artistique ».
Car « Corniche », comme il lui arrive d'être affectueusement appelé, est un peintre. Ce qui permet à Robertson Davies de renouveler le roman d'apprentissage : il ne s'agit plus de suivre un individu pour lui voir perdre sa naïveté et acquérir de l'expérience, il s'agit rien de moins que de comprendre comment on devient un artiste.
La recette:
Un certain don pour le dessin
Peu d'aptitudes scolaires par ailleurs, pour que ce don ne passe pas inaperçu
Une enfance solitaire
Une enfance doublement religieuse, catholique et surtout catholique honteuse, pour faire le plein de symbolisme en contournant les chromos saint-sulpiciens
Une recherche de l'âme soeur vouée à l'échec
Un thanatopracteur qui vous ouvre les yeux sur l'au-delà et vous fournit en modèles peu farouches
Un secret de famille
Un maître, sévère mais juste comme il se doit, qui place la technique au-dessus de tout: « […] il y a des imbéciles qui disent […] que la conception est tout. Foutaises ! Un tableau, ce n'est pas une conception bâclée. » et qui doute beaucoup de l'art moderne: « Si l'artiste [autrefois] avait de l'envergure, du génie, il trouvait Dieu et Son oeuvre en lui-même et il les peignait pour que le monde puisse les reconnaître et les admirer. Mais les modernes [qui représentent leur monde intérieur] ne dépendent que d'eux-mêmes; ils ne sont plus aidés par la religion et par les mythes, et ce que la plupart découvrent n'est une révélation que pour eux-mêmes. […] Ce sont des morceaux saignants de la psyché exposés sur une toile. Ce n'est pas très joli et pas très soucieux de communication, mais ces artistes doivent parvenir à transcender cela pour atteindre les autres, quoique je doute que leurs oeuvres seront nécessairement jolies. »
Davies se livre à un étourdissant jeu de cache pour nous questionner sur les liens entre art et vérité : la peinture peut-elle se passer de l'allégorie ? le sens que l'on donne aux différents incidents qui émaillent notre vie peut-il être autre chose qu'une reconstitution a posteriori ? Peut-on comprendre un tableau ? Existe-t-il de faux tableaux ? Une fausse interview de Picasso peut-elle dire la vérité ?
Bien sûr, c'est un vieux débat que le « vrai-mentir » en art. Mais Robertson Davies est drôle, profond, humain, il écrit un page-turner qui nous donne l'impression d'être intelligents… Je crois qu'il m'apporte tout ce que j'attends d'un livre, cette familiarité étrange qui fait qu'un univers nouveau s'offre à nous mais nous accueille.
Bon, le tome 1 de la trilogie Cornish parlait de littérature, le tome 2 de peinture… Bien sûr, le tome 3 sera musical et il pleut suffisamment pour que personne ne puisse m'emm… à me proposer une balade ou une excursion. Alléluia. Mon daimon à moi aussi fait bien les choses.
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