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Critique de Soleney


Un peu mitigée sur le premier tome, mon enthousiasme décolle pour ce deuxième volet ! Comme son nom l'indique, tout se joue autour d'un point crucial de la Rhovelle : Loered. le Verrou du fleuve. Les forces de la Nuit se sont taillé un chemin dans le royaume, jusqu'à cette place forte… Et le moins qu'on puisse dire, c'est que la Rhovelle va en baver… À tel point que mon âme de lectrice se demande toutes les trente pages : « Mais comment les Rhovelliens vont-ils réussir à tenir pendant cinq livres, eux qui se font massacrer à tour de bras ? » Pour vous dire, cette situation terrible, avec un royaume exsangue et déjà presque à demi-rogné, je ne l'imaginais qu'à la toute fin de la saga, lors d'un ultime affrontement entre le Bien et le Mal.

Mais bref, je brûle les étapes ! Qu'ai-je bien pu reprocher au premier tome qui ne se trouve pas dans le second ?
Tout d'abord, le manichéisme. Même si les humains sont loin – très loin – d'être parfaits, leurs ennemis ont toutes les caractéristiques des méchants. Outre leur dirigeant, Ganner, qui singe un amour malsain envers ses ouailles – ce jeu de dupe me fait froid dans le dos à chaque fois –, entre eux, les Enfants d'Aska ne témoignent d'aucune compassion. Se dévorer et tuer leurs blessés sont choses courantes dans leurs rangs. Ils sont aussi laids que des cauchemars, et névrosés jusqu'au bout des ongles (de la violence perpétuellement contenue des Spectres Armurés à la faim gargantuesque des Effraies, en passant par une subtile scène de bacchanale à laquelle assiste Chunsène et cette parodie d'affection du Héraut d'Aska, on a droit à tout un panel !). C'est justifié par le fait que lesdits Enfants d'Aska sont des résidus d'humains, de machines et d'animaux. Des êtres recyclés qui ont perdu leur première vie. Car Aska, Dieu d'amour et de tolérance, impose ses « bienfaits » aux êtres qu'Il touche. Un Dieu-dictateur, mais pour votre bien : vous ne le saviez pas, mais vous n'étiez pas heureux dans votre ancienne vie, à servir un Wer sur le déclin. Et c'est là que ça m'a un peu gênée : cette attitude m'inspirais un avis trop tranché, et j'aurais bien voulu douter, hésiter entre qui je voulais voir gagner, de Wer et d'Aska. (Bon, Wer n'est pas une sinécure : il est mieux que son frère, mais il est loin de proposer un bel avenir aux hommes. Mériane s'en rend bien compte et se pose beaucoup de questions quant au futur qu'elle est en train de créer et j'ai apprécié ces interrogations.)
Pour rester dans le thème du manichéisme, j'ai trouvé que le message féministe de la Messagère du Ciel manquait de subtilité. On nous l'enfonce dans la gorge à tour de bras, à coup de réflexions bien senties. Alors c'est vrai : les mâles dans Les Dieux sauvages sont des balourds finis. Ils ont été éduqués de manière à croire que les femmes sont des créatures impures et fourbes qui méritent d'être punies pour les désirs charnels qu'elles suscitent – car elles le font exprès, ces gourdasses. Idem : les femmes se perçoivent comme des tentatrices responsables de ce que les hommes pensent d'elles (tiens, tiens, tiens… Ça ne vous rappellerait pas le monde dans lequel on vit, par hasard ?). Mais du coup, comment justifier le fait que Mériane s'indigne du peu de respect que les hommes lui témoignent alors que toutes les autres femmes semblent avoir accepté leur sort ? D'où lui viennent ces réflexions très modernes qui jurent un peu dans ce contexte médiéval (telles que les limites de la langue rhovellienne, qui ne féminise pas les titres prestigieux, la condamnation injuste de toutes les femmes pour la faute d'une seule – Mordranthia étant devenue l'Ève de cette époque – le refus de se cantonner à une vie de procréatrice au service de son mari) ? La vieille Aelig n'était pas un prétexte suffisant pour me satisfaire, car toutes ces réflexions sont finalement très modernes, et ne peuvent être initiées que par l'action de femmes instruites, éduquées. Mais de l'éducation, Mériane n'en a pas reçu. Elle est partie de la ferme de ses parents à l'âge de quatorze ans pour fuir le destin de mère gigogne qu'on lui attribuait. Et elle est allée vivre seule dans la forêt. En fait, ces réflexions auraient été bien plus naturelles si elles venaient d'Izara – de par son statut royal, elle pouvait avoir accès à la connaissance, et par ailleurs, c'est une étrangère qui vient d'un pays où les femmes ont peu ou prou le même statut que les hommes.
Et puis l'attitude des Dieux m'a agacée. Comment se fait-il qu'ils s'affrontent pour un petit caillou qui flotte dans l'espace ? Ne peuvent-ils pas s'attribuer un demi-univers chacun et se foutre la paix ? Ne peuvent-ils pas régler leurs différends eux-mêmes au lieu de passer par les hommes ?
J'ai trouvé que ça manquait de crédibilité, et puis je me suis rendue compte que c'était justement le propos du livre, qui critique les religions (surtout le christianisme), l'aveuglement et les mensonges qu'elles servent à la population, l'inimitié qu'elle instaure entre hommes et femmes… Il n'y a pas de logique à tout ça car les dieux (comme les humains) obéissent à des pulsions aveugles. Les deux frères sont des principes opposés, et donc la présence de l'un affaibli la force de l'autre. C'est un argument tout à fait suffisant pour déclencher une Guerre mondiale…

Voilà pour les quelques points négatifs que j'ai pu relever ! Mais il y a eu aussi d'excellentes idées dans ce premier volume :) Contrairement à certains lecteurs, j'ai beaucoup aimé l'alternance des points de vue qui, couplé aux intrigues de pouvoir, donnaient un petit air de Game of Thrones pas désagréable. Entre les avis de chacun sur la meilleure manière de gérer le royaume, j'étais incapable de voir où était la vérité – et j'étais prête à tous les croire. Et ça, j'ai adoré : pas de méchant, juste des hommes aux avis divergents, convaincus d'oeuvrer pour le bien de la Rhovelle. [spoiler](Et puis la confrontation entre les Magnéciens et les Askalites a tranché : Juhel était manipulé par Aska depuis le début^^ Dommage…)[/spoiler]
Alors certes, j'ai eu des préférences : j'adore les chapitres d'Izara et de Leopold, j'ai profondément compati aux souffrances de Chunsène, j'éprouve une grande affection pour Erwel, qui n'a jamais été préparé à endosser la moindre responsabilité, qui se fait marcher sur les pieds par ses vassaux, mais qui est déterminé à faire de son mieux. A contrario, Juhel n'est pas sympathique – et j'aurais même aimé qu'il s'efface un peu plus au profit des autres personnages.
Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais été perdue entre tous ces points de vue, et ils permettent de prendre la mesure de l'état du royaume de Rhovelle au moment où Mériane devient la Messagère du Ciel.
Et puis, l'écriture de Lionel Davoust était toujours aussi agréable ! La Messagère du Ciel était également porteur de nombreuses promesses : plus le temps passe, plus on comprend que Wer est plus un Dieu de l'Omission (voire de la Soumission, hahaha) que de la Vérité. On évoque quelques fois un artéfact puissant caché au-delà des mers, les particularités de Darén me laissent penser que l'auteur nous réserve une surprise quant à ce personnage attachant (idem pour Néhyr… Comment peut-on être si parfaite sans être une fée ou une elfe ?). j'ai tout particulièrement apprécié le début de la relation entre Mériane et Wer ! Sa terreur, ses hésitations, ses refus étaient particulièrement bien rendus et je me suis très bien vue à sa place (ce qui était légèrement angoissant^^').
Et puis cette ancienne magie-technologie si puissante qu'elle en a bouleversé l'équilibre du monde, comment ne pas la comparer à l'énergie nucléaire dont nous disposons ? Comment ne pas comparer les Anomalies aux radiations ? Ce récit de fantasy frôle la science-fiction et j'ai trouvé cela très amusant^^

Et donc maintenant, en quoi ai-je préféré le Verrou du fleuve ?
Plus d'action, plus de rebondissement, plus de carnage, plus d'horreur. La guerre fait rage : c'est palpitant ! Mais il y avait aussi plus de questionnements : il apparaît qu'une troisième force est capable de lutter contre Wer et Aska, que les demi-vérités de Wer soulèvent de plus en plus d'énigmes, que décidément, on ne voit vraiment pas comment les humains vont pouvoir défaire l'Armée de la Nuit.
En lieu et place de l'Ailleurs (ces extraits dans lesquels on voyait les Dieux dans leur combat quotidien et qui clôturaient les cinq actes du premier roman), nous avons le Livre : des textes qui relatent la légende de la Pucelle de Doélic, et qui l'érigent en puissance quasi-divine. C'est une amélioration, pour moi : au lieu de montrer les Dieux s'asticoter autour de débats stériles, l'auteur nous présente toute l'ironie des légendes : basées sur un fond de vérité, elles ne disent rien de l'humain qui les a créées, de ses doutes, de ses peurs. Comme le remarque si bien Mériane : « Au-delà de la corruptrice et de la mère, les hommes n'avaient d'autre emploi pour les femmes que celui de déesse. » Aux yeux de ses pairs, la Messagère du Ciel a perdu son humanité – et cela la terrifie.
La relation avec ses proches évolue – notamment Leopold. Ce dernier a effectué un virage à 360° dans sa vision du monde, mais j'ai cru à cette transformation. Et j'apprécie de plus en plus en personnage, qui est décidément destiné à souffrir beaucoup… Je ne parviens pas à imaginer une fin heureuse crédible pour lui :(
Et puis ce tome est le tome de la réunion : la plupart des protagonistes se rencontrent enfin ! J'ai pris énormément de plaisir à assister aux rencontres, d'autant que chaque personnage s'est étoffé depuis le premier tome (tout particulièrement Erwel et Mériane, que les responsabilités ont fait mûrir).
Sauf Chunsène. Chunsène, je la trouve désormais caricaturale et agaçante. J'apprécie de moins en moins les chapitres qui lui correspondent. Elle insulte à peu près tout le monde quand ça lui chante, fait la forte tête mais se débine dès que ça chauffe, fait mine de protéger sa nourriture dès que quelqu'un lui parle (comme un animal), et même feule quand on la rabroue ! Il ne peut pas y avoir de réaction plus ridicule…
Mais ce personnage est peut-être le seul point négatif du livre (avec quelques petites longueurs). Tous les nouveaux qui sont introduits lors de ce second volet sont de très bonne qualité, et j'ai eu un petit coup de coeur pour le chronète Malagar – le ciel fasse qu'il survive longtemps !
Ah oui, car évitez de trop vous attachez aux personnages. Dans cette guerre sans merci, un mauvais coup est si vite arrivé…
Bref, vous l'aurez compris, cette suite est excellente !
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