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Critique de johnowen9


Avant, de commencer cette critique, je tiens à remercier les éditions KARTHALA pour m'avoir offert ce livre, mais aussi Babelio pour m'avoir déclaré vainqueur de Masse Critique et d'avoir réitéré la confiance qu'ils m'ont octroyé après ma première critique.

"Le métier des armes au Tchad. le gouvernement de l'entre-guerres" est une enquête ethnographique conduite entre 2004 et 2010 par Marielle Debos, maîtresse de conférences à l'Institut des Sciences Sociales du Politique et post-doctorante "Marie Curie" à l'Université de Californie, Berkeley.

Retraçant dans un premier temps avec une précision chirurgicale et extrêmement fouillée les différents événements de l'histoire tchadienne, l'auteure tente ensuite de s'attacher à montrer comment les gens font la guerre. Elle va pour cela tenter de comprendre comment les armes sont devenues un mode ordinaire de contestation, mais aussi de vie au Tchad, une chose anormale, incompréhensible voire même aberrante, pour nous, occidentaux, bien installés et au chaud (chaleur qui ne manque pas au Tchad...) dans nos fauteuils ou nos bureaux. D'où le titre: comment le métier des armes s'apprend-il, mais aussi gangrène toutes les strates de la société tchadienne: banditisme, forces rebelles et mêmes forces gouvernementales.
Le recours des armes est une spécialisation d'une partie de la population masculine, pour des raisons économiques et pécuniaires évidemment, mais aussi contestataires, sociales ou même politiques. Pour tenter de comprendre les rouages d'une machine que l'auteure va tenter de démystifier, rôle principal de la sociologie en vue de rechercher la vérité dessous les apparences, elle va reprendre les méthodes interactionnistes de l'Ecole de Chicago, Howard Becker en tête, pour tenter de concevoir le métier des armes, au sens de carrière et de trajectoire. Au fond, les armes sont devenues par les multiples circonstances historico-sociales une pratique quotidienne, constituant un véritable mode de vie. La violence et les armes sont prégnantes dans le champ politique tchadien, et personne ne s'en étonne plus. Une des causes de cette standardisation de la violence est évidemment un quotidien intensément difficile où insécurité rime avec pauvreté, où gouvernement corrompu va de pair avec brutalité et animosité.
Dans ce contexte, la prise des armes est même valorisée, et la personne sans arme est même stigmatisée. La guerre est ainsi popularisée, mettant constamment la société sous tension, même lors des trêves (appelées ironiquement "entre-guerres"): la vie n'en est que plus difficile.
Au fond, la question n'est pas de savoir pourquoi, mais comment les hommes ont recours aux armes, un recours qui s'est démocratisé, véritable répertoire d'actions totalement commun, une façon relativement ordinaire de régler un problème. Derrière cela se cache toute une activité de symbolisation et de légitimation de la violence par les armes actée par le gouvernement, qui est lui-même constamment armé pour lutter contre les rebelles.

Une enquête sociologique bouleversante, sur un sujet difficile, dangereux et peu étudié. Marielle Debos réussit un véritable tour de force, en vulgarisant quelque peu sa thèse de doctorat dans un lexique compréhensible, agréable à lire mais tout de même réservé à un public avisé.

"On ira tous au paradis, car on a déjà vécu l'enfer sur Terre", dicton tchadien, résume bien ce livre qui tente de comprendre les rouages d'une société gangrénée par une normalisation du métier des armes, qui s'apprend, s'étend ne laissant pas de place à d'autres formes de contestation. Vraiment bouleversant, et à mille lieux de notre société occidentale: cela permet de nous remettre en question, et particulièrement l'Etat français, qui avec ses interventions colonialistes est probablement une des causes de la maladie du peuple tchadien.
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