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Critique de Arimbo


C'est certes un livre dense, très complet, certes pas tout à fait récent (publié en 2007), et donc il est plausible que certaines découvertes aient été faites depuis, qui viendraient compléter, pas contredire je crois, ce qui exposé ici.

Mais c'est un ouvrage formidable de clarté, de pédagogie. Il contient de nombreuses et utiles illustrations qui facilitent la compréhension du propos de l'auteur. Il est étayé par de nombreuses références bibliographiques. Mais surtout, Stanislas Dehaene est un merveilleux guide qui sait vous accompagner dans la compréhension de ce qu'il vous expose, y compris en s'amusant avec la typographie du texte.

L'ouvrage s'appuie à la fois sur les découvertes faites il y a de nombreuses années sur des patients ayant, suite à des atteintes de leur cerveau, une incapacité à lire, et surtout sur les progrès extraordinaires et récents de la médecine telle l'IRM fonctionnelle qui permet de voir « en direct » les zones du cerveau qui s'activent lorsque l'on lit.

L'auteur va ainsi aborder de façon progressive de nombreux thèmes des mécanismes de la lecture.
Sans entrer dans les détails ce seront d'abord les données de psychologie cognitive qui montrent comment, à partir d'une capture visuelle d'un nombre limité de lettres, deux voies de lecture sont employées l'une qui assemble les lettres en petites sous unités qui correspondent aux phonèmes, cette voie utilisée pour les mots peu fréquents (c'est celle nous le verrons qui est d'abord et exclusivement utilisée chez l'enfant qui apprend à lire) et l'autre beaucoup plus rapide qui fait appel à notre lexique orthographique qui comporte entre 50000 et 100000 entrées, et nous permet de reconnaître immédiatement le mot stocké dans notre « dictionnaire ».

Les second et troisième chapitres sont les plus passionnants. Dans ceux-ci, Stanislas Dehaene s'attache à décrire par le détail les mécanismes cérébraux qui font passer de la lecture des lettres à la compréhension des mots et des phrases. Après une vision des lettres par les lobes occipitaux de nos deux hémisphères cérébraux (droit pour l'oeil gauche, droit pour l'oeil gauche), le signal est transmis, et ceci quelle que soit la langue écrite, à une région spécialisée du cerveau , la région du sillon occipito-temporal gauche, dans laquelle va se faire la reconnaissance visuelle des mots, par une cascade d'interactions entre neurones. Cette dernière interagit avec de nombreuses aires cérébrales, parmi lesquelles celle de l'analyse des phonèmes, composantes auditives des mots, celle du langage, celles du sens, etc…Ce circuit est totalement différent de celui de la reconnaissance des visages qui se termine dans l'hémisphère droit du cerveau. Il existe de façon identique dans touts les langues, avec quelques nuances cependant.
Chose extraordinaire, un circuit similaire et localisé au même endroit existe chez les primates non-humains chez lesquels on a pu déterminer, presque neurone par neurone, qu'il sert à reconnaître les formes non accidentelles dans la nature, et progressivement à en simplifier les traits, et à rendre la vision invariante selon la position et la taille de l'objet vu, ce qui représente un grand avantage. Ainsi, dans les neurones du sillon occipito-temporal, les neurones stimulés par la vision d'un chat seront progressivement relayés le long de ce sillon par d'autres neurones qui seront capables d'être stimulés par une reconnaissance de deux cercles, un petit et un grand, superposés, indépendante de leur orientation dans l'espace.
Le mécanisme de la lecture représente l'un des exemples de ce que l'auteur appelle un « recyclage neuronal » d'un module existant déjà depuis des millions d'années. Les neurones du sillon occipito-temporal humain seraient ainsi, (en 2007, l'analyse fine n'avait pas pu aller au bout), une sorte de pyramide inversée chaque neurone en stimulant environ 3 autres et où l'on passe d'une reconnaissance des lettres à une reconnaissance du mot.

Dans le chapitre suivant, c'est l'invention de l'écriture qui nous est décrite, jusqu'à la géniale découverte de l'alphabet. Là encore, l'auteur insiste sur le fait que les lettres n'ont pas été inventées au hasard, mais reprennent des formes non accidentelles existant dans la nature telles le O, le A, le T, etc…..

Un chapitre de volume important est consacré à l'apprentissage de la lecture chez l'enfant. C'est passionnant aussi. L'auteur insiste sur les fenêtres de plasticité cérébrale qui, dès la naissance, créent les conditions de l'apprentissage, sur la nécessité pour le cerveau d'assembler les lettres en phonèmes pour accéder au mots et à leur sens. Et de ce fait, à l'erreur de la méthode globale qui s'est attachée à la forme globale des mots, alors que le cerveau a besoin de recomposer le mot par la combinaison phonèmes et graphèmes.

Un chapitre entier est consacré à la dyslexie, et à la mise en évidence chez la plupart des enfants qui en sont atteints d'anomalies neuronales à type de désorganisation des neurones, au niveau du sillon occipito-temporal, et l'existence de gènes de prédisposition. Il montre aussi qu'un entraînement intensif dès le repérage de la maladie, fondé sur la répétition des associations visuelles et sonores entre syllabes d'un mot permet de solliciter des aires cérébrales voisines et de pallier le défaut.

Dans le chapitre suivant, l'auteur nous fait toucher du doigt une notion bien curieuse, qui est que notre cerveau, comme celui de nombreuses espèces animales, est capable de reconnaître les objets indépendamment de leur orientation droite ou gauche, mais que cette vision de la symétrie doit être « oubliée » dans la lecture, le b et le d étant par exemple deux lettres différentes. Il nous explique durant quelle « fenêtre » de développement l'enfant va pouvoir acquérir cette capacité, et les mécanismes neuronaux qui en sont responsables.

Enfin, le livre se termine par un chapitre de réflexion plus générale très intéressant et stimulant. Il insiste d'abord sur le fait que la lecture et l'écriture ne sont qu'un des éléments d'une caractéristique unique de notre espèce qui est la transmission culturelle. Mais il suggère aussi, comme l'avaient évoqué des anthropologues tel Levi-Strauss, qu'il existe des invariants culturels, comme la classification des espèces animales et végétales, les mathématiques, la création artistique, le phénomène religieux., etc.. Et donc que chez l'humain, les possibilités de diversité culturelle ne sont pas infinies et sont limitées par les possibilités d'un recyclage de modules neuronaux antérieurs à notre espèce.
Mais aussi, que le développement important de notre cortex frontal a permis à l'être humain des avancées majeures. D'une part, comprendre l'esprit d'autrui, ce qui est un avantage majeur par exemple pour l'éducation des enfants, ou pour la diffusion des inventions. D'autre part, l'auteur émet l'hypothèse que notre cerveau frontal est aussi la zone qui intègre et régule les données de nos différents modules cérébraux, et que notre conscience pourrait être cet espace de travail neuronal qui assemble les données de différentes régions cérébrales et peut leur impulser de nouvelles voies, telle la lecture et l'écriture.

En épilogue, Stanislas Dehaene, fait le voeu que les données des neurosciences puissent se mettre au service des méthodes d'enseignement. Voeu réaliste? Je sais qu'il a été nommé Président du Conseil Scientifique de l'Education Nationale en 2018, qu'il est partisan de l'évaluation, de la bienveillance et de la positivité en matière d'éducation, mais je ne sais pas si, à ce jour, il a su faire bouger le « Mammouth ».
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