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Critique de domi_troizarsouilles


Comme il se doit, je remercie Babelio et les éditions Weyrich, qui m'ont permis de découvrir ce livre, remporté dans le cadre de la masse critique « Littérature » de septembre dernier.
Comme l'annonce le 4e de couverture, je m'attendais à l'histoire de quatre auteurs débutants en résidence avec une espèce de « prix » pour un seul d'entre eux à la clé, et en effet il s'agit bien de ça… mais surtout de tout autre chose, je crois que rien ne peut vraiment préparer à ce petit livre complètement déjanté et extrêmement réjouissant !

Pour être un peu plus claire : la SAD, Société des Auteurs en Devenir, obscure société active dans le monde des lettres francophones De Belgique, a remarqué – avec raison - qu'un certain nombre d'auteurs belges prometteurs disparaissent, généralement en France (où le Belge est à la mode), dès lors qu'un premier livre a remporté un certain succès. Pour enrayer cette fuite des cerveaux créateurs, cette Société a mis en place une résidence d'écriture, chaque année, dans le château d'un noblion oublié qui en profite pour asseoir son nom comme mécène des Lettres. C'est là que quelques auteurs triés sur le volet sont conviés, dans un cadre et une ambiance propices à la création de ce qui serait leur deuxième oeuvre, qu'ils seraient alors, en sus, enclins à publier auprès d'une maison d'édition belge ! Je ne dirai rien de plus de ces quatre personnages principaux, que l'on découvre au fil des pages et de la narration de l'autrice… À vrai dire, elle digresse tellement (pour notre plus grand plaisir, cela dit, j'y reviens) que j'ai eu un peu de mal, au début, à reconnaître qui était qui parmi ces personnages, mais peu à peu on s'y fait et on les reconnaît plus que bien !

Ainsi donc, ces quatre jeunes auteurs, retenus pour une énième résidence, vont vivre une espèce de huis-clos créatif chez le compte Gédéon de Ducart d'Oise et son épouse Marie-Maxine. Mais ne vous attendez pas à une histoire vaguement policière où il ne resterait qu'un écrivain à la fin (même si c'est bien le cas), ni à un roman de littérature contemporaine où la psychologie et autres états d'âme des personnages seraient décortiqués à la loupe (pourtant c'est aussi le cas), ni même à un pseudo-pamphlet qui attaquerait le monde de l'édition (encore une fois, cependant, il y a de ça aussi).
Non, l'autrice part de ces quelques points pour développer l'histoire de ces quatre personnages et leurs pensées plus ou moins saugrenues, ainsi que quelques personnages secondaires truculents, avec un petit côté policier malgré tout, et ce qui ressemble à une critique du monde de l'édition – même si j'ai ressenti davantage un regret envers ces (nombreux) auteurs belges qui se font éditer en France dès que possible, qu'une attaque quelconque envers le monde de l'édition en tant que tel ; ce sont davantage les journalistes et autres critiques pseudo-littéraires qui sont, eux, bel et bien égratignés !

Mais surtout, elle laisse aller sa plume dans une espèce de logorrhée où le lecteur (et sachez que j'utilise là ce bon vieil adage grammatical de la langue française : « le lecteur » englobe bien entendu la lectrice que je suis, puisque « le masculin l'emporte » … et pour le coup, je ne m'en porte pas plus mal !) est interpelé encore et encore, dans ce qui s'apparente parfois à un « délire », mais on se laisse embarquer avec bonheur, car une chose évidente transparaît dans tout cela : l'autrice s'amuse sans aucun complexe (tiens, tiens !) et, dès lors, est directement convaincante et entraînante.
Le lecteur est ainsi convié en observateur, à regarder aux côtés de l'autrice l'envers du décor, les coulisses, ce qui se passe au jour le jour dans le secret de chacun, bien au-delà du processus de création, ou peut-être en plein dans ce processus… mais qui se révèle bien différent de tout ce qu'on pouvait imaginer. On n'est jamais en présence d'un auteur occupé consciencieusement à remplir des pages dans un cahier ou sur son portable, ou au pire à faire des recherches pour son histoire, mais on rencontre des personnages (un peu) excessifs, d'une façon ou d'une autre, durant ces quelques jours au château, dans des situations improbables et de plus en plus burlesques.

C'est sans doute là le mot qui définit le mieux le livre : burlesque, auquel on pourrait associer drôle, déjanté, surréaliste même parfois, à la façon d'un vaudeville – comme le dit l'autrice elle-même en entête du chapitre 27 : « (…) on ne peut s'empêcher de penser que ce roman mal fagoté ferait tout de même une bien belle pièce de théâtre ! »
Ce simple bout de phrase montre aussi un autre aspect essentiel de ce livre : dans cette espèce de dialogue constant, quoique complètement loufoque, que l'autrice a initié avec son lecteur, l'autodérision est omniprésente. Et, à mon sens (mais je ne suis évidemment pas neutre), c'est cette autodérision « typiquement belge », comme on peut la retrouver dans les dessins ou écrits de certains de nos humoristes de papier : je pense par exemple au Chat, celui des débuts en tout cas, d'un Philippe Geluck par exemple (pour ne citer que l'un des plus connus… qui a lui aussi viré à la France !), ou aux dessins-chroniques quotidiens d'un Pierre Kroll, resté bien fidèle, quant à lui, à notre national journal Le Soir entre autres – inutile de préciser, je crois, que j'apprécie les deux.

D'ailleurs, bien au-delà de cette autodérision, j'ai beaucoup aimé le fait que, tout au long du livre, l'autrice assume cette belgitude… même si c'est parfois une arme à double tranchant.
J'ai trouvé surprenant, par exemple, que le verbe « se racrapoter », indéniable belgicisme, soit expliqué en note de bas de page, alors que tant d'autres expressions régionales émaillent ce livre, mais ne sont quant à elles jamais relevées. Je ne suis certes pas spécialiste des belgicismes, après tout c'est « ma langue » et j'utilise tout un tas de ces mots / expressions au quotidien, et pour un certain nombre je ne suis même pas consciente que ça puisse paraître quelque peu obscur ou, au mieux, rigolo pour des non-Belges ! Par ailleurs, on trouve çà et là quelques traits qui confinent à la blague d'initié (ces jolies « private jokes » qui ne font rire que ceux qui savent) : en effet, à part les quelques personnes qui sont au courant, qui se soucie vraiment de savoir que la bataille de Waterloo n'a pas eu lieu… à Waterloo, mais bien dans l'actuelle commune à part ça inconnue de Braine-l'Alleud ? Même parmi mes compatriotes, peu s'intéressent vraiment à ce détail géographique de quelques kilomètres !
Tout ça pour dire : oui à la belgitude assumée, c'est un aspect qui me plaît toujours beaucoup… mais ici, elle est peut-être un peu trop poussée (quoique... où est la limite ?), si bien que je ne peux m'empêcher de me demander comment les francophones de France, de Suisse, du Québec ou d'Afrique pourraient recevoir un tel livre ?... Représentatif de notre littérature francophone nationale ? Peut-être bien que oui, même s'il y a tant d'autres choses… mais après tout, nous avons d'autres auteur.e.s et d'autres styles qu'Amélie Nothomb ! (ou un Éric-Emmanuel Schmitt par exemple, qui, lui, a fait le chemin inverse, mais reste édité par des maisons françaises)
Je tiens quand même à relever, aussi, que, malgré ou peut-être grâce à cette belgitude assumée jusque dans les choix des mots et autres expressions, on a là un livre d'une toute bonne qualité littéraire ! Déjanté, oui, mais avec le style !

Je ne peux terminer ce livre sans un détour par le titre ou la couverture… Il faut avoir lu le premier pour comprendre le second ou, plus exactement, pour être capable de l'interpréter, donc en réalité je ne peux pas en dire tellement plus ! Mais je pense que ce titre volontairement mystérieux permet à chacun de donner sa propre explication. En revanche, la couverture me dérange bien un peu… car si l'escargot est bien un gastéropode, le gastéropode-vedette du livre n'est pas l'escargot, mais la limace ! Certes, une limace en train de faire la course, comme le suggère cette photo de couverture, ça aurait été beaucoup moins attirant (et donc moins vendeur) que le brave escargot dont l'image suscite toujours une certaine sympathie. Mais c'est dommage…

Bref, j'ai beaucoup apprécié ce livre déjanté, loufoque, burlesque à la belgitude assumée, parfois jusqu'à un certain extrême. Il est évidemment très drôle – même si, pour moi, je ne peux pas dire que j'aie ri aux éclats, en revanche c'est un livre qui se lit avec un sourire constant, car cet humour plein d'autodérision, qui entraîne le lecteur sans faiblir, est une indéniable invitation à la bonne humeur, sans complexe.
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