AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de AMR_La_Pirate


Je remercie Pauline Deysson qui me confie, pour lecture et chronique, Grandir, le premier tome de son ambitieuse saga dont les différents livres seront regroupés sous le titre général La Bibliothèque… N'ayant pas l'habitude de recevoir des services de presse en version livre papier, je suis très agréablement surprise par ce beau pavé à la couverture douce et veloutée, déjà en lui-même un bel objet autoédité.

Attirée par les promesses de monde onirique de la quatrième de couverture et par le devenir du livre dans un univers relevant à la fois de la fantasy et de la science-fiction, j'ai eu cependant un peu de mal à entrer dans le « technomonde » trop parfait où évolue d'abord l'héroïne, Émilie, et à me familiariser avec les sigles peu conventionnels car non limités aux initiales, et ce malgré le lexique en fin de volume, et à deviner la symbolique des objets connectés. Quelque chose n'allait pas, me dérangeait, preuve sans doute que ce monde qui ne tourne pas rond m'avait déjà happée malgré moi et que j'étais préparée pour adhérer au parcours des personnages que j'allais peu à peu rencontrer.
Puis, je me suis habituée aux différents mondes, aux différents niveaux narratifs et à leur structure gigogne, même si les passerelles n'étaient pas évidentes pour moi au départ ; au trois-quarts du troisième chapitre, j'entrais enfin avec délice dans la « première strophe » du poème, avide de la magie promise...
Malgré tout, j'ai eu du mal à trouver mon rythme de lectrice, prise dans des longueurs sur lesquelles je me suis endormie plusieurs fois le soir dans mon lit, qui m'ont poussée à faire des pauses, à fractionner ma lecture, toujours pour la reprendre avec plaisir cependant.

Force est de constater que la lecture de ce livre exige un goût prononcé pour l'art de la métaphore et de la mise en abyme. Dans le lieu magique qu'est la Bibliothèque « hors du temps et de l'espace », il n'y a pas de lecteurs, mais des âmes qui rêvent ; la lecture devient « une histoire silencieuse… Une pensée qui prend forme ». Les rêves sont écrits par les bibliothécaires dans une langue universelle faite de symboles complexes, aux multiples interprétations. Au-delà de l'aventure dystopique, on peut voir dans ce roman une véritable réflexion sur l'écriture, le langage et la lecture dans un monde qui a perdu tous ses repères culturels, qui n'a plus de communication écrite, où tout est connecté, visuel, sensoriel et virtuel. le questionnement littéraire s'élargit à une interrogation plus générale sur la recherche du bonheur, à la limite d'un long conte philosophique.
S'il est vrai que la fantasy attire plus particulièrement les grands adolescents et les jeunes adultes, qui retrouveront ici un univers proche de jeux de rôles comme World of Warcraft, il est évident que Pauline Deysson s'adresse à un lectorat mature et averti car il faut un minimum de culture générale et un bon bagage littéraire pour profiter pleinement des intertextes et des mythes littéraires ou fantastiques revisités : mythologie grecque, Triangle des Bermudes, chant des Sirènes, Pélléas et Mélisande, magie arthurienne, contes traditionnels, thème du voeu accordé sous certaines conditions… ; j'ai même vu passer le lapin blanc d'Alice au pays des merveilles... de plus, les notions de langage, de signes (signifiants et signifiés) sont abordées et même si mes souvenirs de linguistiques s'estompent, le peu qui me reste m'a aidée à m'y retrouver.
Ce livre est un voyage dans l'illusion du temps et dans l'espace, dans la mémoire littéraire, dans les méandres de la diachronie du fait linguistique dans un monde ou le virtuel a fait disparaître le langage écrit : sans écriture, il n'y a donc plus d'écrivain, plus de livres et plus de lecteurs mais paradoxalement nous accompagnons l'héroïne dans un livre et nous pouvons extrapoler que les tomes suivants seront sur le même canevas. C'est l'occasion de questionner l'acte de lecture, en tant que cheminement personnel, expérience, manipulation, horizon d'attente, mémoire, sensations, imaginaire… et de mettre en lumière la création littéraire, le rôle et la place des personnages de fiction.

Grandir est très bien écrit, maîtrisé dans sa trame narrative complexe, avec une alternance de passages d'action et d'introspection. Malgré le nombre important de personnages, le fil conducteur ne se perd pas et les différents univers s'emboitent avec cohérence
le projet de Pauline Deysson est très ambitieux ; quelques « fuites » sur le tome 2 dans les réseaux sociaux sont plus que prometteuses sur les futures explorations : le savoir lire apportera-t-il des réponses ? Je salue l'ampleur du travail de recherche, d'écriture et de relecture sous-entendu pour cette « belle ouvrage » dans son ensemble (sans ironie de ma part). J'adhère à l'intention d'un écrivain qui veut pousser ses lecteurs à faire leurs propres recherches ; personnellement j'ai voulu trouver des clés de lecture grâce à l'onomastique dans les choix des noms des personnages et ainsi imaginé des correspondances auxquelles je n'aurais pas pensé au premier abord et exploré des étymologies qui faisaient sens pour moi.
Je mettrais comme seul bémol les longueurs déjà évoquées qui font de ce roman un livre que l'on abandonne pour laisser décanter sa lecture et que l'on reprend, après une pause nécessaire et bénéfique ; mais tous les lecteurs potentiels n'auront peut-être pas cette posture et risquent de s'essouffler avant la fin et de ne pas rester fidèle à toute la série.
Ce livre est trop complexe pour être seulement distrayant et s'adresse donc à de solides lecteurs, avertis et curieux.
Commenter  J’apprécie          61



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}