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Critique de Malaura


Les sept nouvelles qui composent le recueil de « Au café » ont été écrites en 1955 à une époque particulièrement troublée, celle des « Evènements » comme on dit pour parler de la guerre d'Algérie.
Du chaos et de la violence de ce conflit insurrectionnel est miraculeusement née une littérature extrêmement riche dont Mohammed Dib fut l'un des pères fondateurs, celle des écrivains maghrébins prenant le français pour support artistique.
Il fut, avec Kateb Yacine, l'un des écrivains algériens contemporains les plus prolifiques de cette génération d'auteurs qui ont permis l'émergence de la littérature maghrébine s'exprimant en langue française.

Bien que les nouvelles de « Au café » aient été rédigées dans un climat particulièrement lourd et tendu, aucune d'entre elles ne désigne explicitement le conflit qui se joue.
C'est ce qui fait sans doute la force de ces histoires, cette façon de ne jamais nommer mais plutôt de suggérer, de laisser deviner et se borner à décrire sobrement les conditions de vie des algériens dans ces années-là.
Pourtant, dans chacune, on sent bien toute l'âpreté, la misère et la pauvreté de la terre d'Algérie sous le joug des colonisateurs.
C'est notamment la faim qui tenaille les ventres, le chômage et la pauvreté, qui transparaissent dans les récits de Mohammed Dib.
Une misère qui mène inexorablement à l'insoumission, à la révolte et à « l'insurrection des fellaghas ».
« Ce n'est pas toi qui est pourri, c'est le monde. On dirait un abcès qui n'arrive pas à crever », « quand nous aurons assez bu de cette lie, c'est nous qui vous supprimerons » dit l'un des deux personnages de « au café » la nouvelle qui donne son titre au recueil.

Qu'il prenne pour cadre un bistrot enfumé de la ville, un coin perdu de montagne, une cour de ferme ou un hôpital, Mohammed Dib s'emploie à montrer toute la tragédie d'un peuple qui peine à vivre et dont le sentiment, entre soumission et désir de révolte, se teinte d'amertume et de désolation.
« Pourquoi me prive-t-on de pain ? » s'interroge le petit Omar dans « Un beau mariage » tandis que dans « La petite cousine », la vieille Mansouria voit en l'hôpital où elle a pu manger et dormir le paradis sur terre…
C'est cette réalité des gens ordinaires d'Algérie que nous donne à voir Mohammed Dib, la réalité d'un pays qui voit des groupes de noirs policiers faire régner la terreur.

Le réalisme éloquent de sa plume s'enrichit de surcroît d'une poésie lumineuse et intense dans la description des lieux et particulièrement des cadres naturels.
Poète, Mohammed Dib sait parfaitement, en quelques mots puissants, en traits évocateurs, chanter la beauté des montagnes, la félicité des bois, l'éclat de la lumière ou le sentiment mystérieux qui pénètre l'âme au contact des choses de la nature.
L'inspiration de cet homme exilé, qui quitta sa terre en 1959 pour n'y jamais revenir, puise sa source dans les souvenirs d'enfance, dans la grande ville d'Alger aussi bien que dans les campagnes arides du relief algérien.
Pressenti pour le Prix Nobel de littérature en 2003, Mohammed Dib mourut cette même année, laissant une oeuvre réfléchie et pure, empreinte d'humanisme.
Une bien jolie découverte.
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