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Critique de VACHARDTUAPIED


On le connaît père de Omar et Aouicha. On l'a rencontré avec Solh et Faïna, on a déambulé avec lui dans Tlemcen et la veille médina. On a également erré avec lui sur les sentiers poétiques… et là nous le découvrons nouvelliste dans un recueil Au café. le talisman. C'est toujours avec un réel plaisir que de lire ou relire Mohamed Dib depuis l'incontournable trilogie faisant désormais corps avec la culture algérienne et la littérature universelle. Et cette publication en question, découverte, un peu tard certes, au gré des passages dans les librairies, bien que remontant à 1955 et 1966, a immédiatement fait amitié avec nous.
Le premier récit qui a donné son titre à la première partie du recueil Au Café, est la rencontre entre un père de famille au chômage depuis trois ans et un homme à peine sorti de prison. Il pleut et il fait froid dehors. A l'intérieur du café, l'atmosphère est plus réconfortante, il y règne « une sensation de chaleur ». Deux pauvres hères, l'un fuyant le regard de ses enfants affamés, l'autre à la recherche d'une écoute voulant échapper au remords. Deux hommes dans cette Algérie des années coloniales, dans un arrière-pays malade de misère. Cinq ans de taule pour avoir tué sans intention de donner la mort, un pécule en poche, une liberté dont il ne sait que faire, notre inconnu s'impose afin de se délester de son lourd fardeau : « tu penses que j'ai tué vieux frère ? Que je suis un être sauvage ? Non je ne suis pas ce que tu crois. » D'emblée l'étranger met à nu sa blessure, raconte son désarroi d'homme seul. C'est une suite de confessions avec un homme « normal », pas comme ces êtres de misère pétris par l'enfermement et l'isolement qu'il a côtoyé cinq ans durant. Se tissent alors, des liens éphémères autour de théières remplies de breuvage chaud et bienvenu en cet hiver. L'un se confie, l'autre tend une oreille attentive non sans ressentir de la crainte face à un compagnon d'une nuit au bord de la folie. Sinon déjà fou.
Terres interdites, deuxième texte, est l'histoire d'un bourg perdu quelque part dans cette Algérie profonde. La « dechra » avec ses paysans et paysannes est entrée dans le militantisme nationaliste par le biais d'hommes de bonne volonté. Il flotte un mystère, il y a un secret que l'on ne doit pas trahir : les élections prochaines et un élu musulman pour défendre les intérêts de ses frères pour ne plus « courber l'échine ». Sadak le lion, l'intègre, intègre, l'incorruptible a fait un travail de pénitent pour sensibiliser les hommes de sa terre, ceux qui arrosent leurs maigres champs avec la sueur de leur front. La mission de porter la nouvelle est échue aux messagers de la belle parole. Ils partent de hameau en hameau, un homme est prêt à parler en leur nom, au nom de leur liberté.
La troisième nouvelle qui a retenu notre attention à savoir L'héritier enchanté, fait parler un trentenaire, père de famille. Un maître de domaine. L'écrit est à la première personne et nous pouvons écouter le narrateur raconter, se raconter. La maison familiale qui l'a vu naître et grandir est située au centre d'espaces boisés. Il ne peut se délier d'avec la demeure ancestrale, celle qui est pavée de souvenirs, d'odeurs et de voix du passé. C'est alors que nous entrons dans un univers fantastique et invraisemblable. C'est un être humain, un fantôme, une conscience errant entre le visible et l'invisible. La mort est en lui, le maître ne peut échapper à sa voix intérieure « mes ancêtres m'appellent… ». Un récit étrange, un voeu de résurrection des ancêtres qui viendront faire renaître, revivifier les murs de la vieille bâtisse qui ne veut pas disparaître dans l'oubli du temps.
Tandis que les oiseaux, encore un texte existentialiste. La vie n'est qu'amertume pour le maître tisserand. L'angoisse face à l'existence, face au lendemain et cet éloignement du souffle de vie qui s'éloigne du corps. La mort est perceptible. Puis vient le feu destructeur. Les flammes qui détruisent l'atelier, sont sa propre liberté. Les liens matériels nocifs à la sagesse, philosophie se réduisent en cendres.
Naéma disparue, un texte né de la guerre d'Algérie. Une mère absente, un climat de terreur et des enfants à qui il faut «panser» l'âme juvénile pour qu'ils ne sombrent pas dans les angoisses de la guerre : « des affiches collées partout montrent des hommes abattus. Les tribunaux proclament tous les jours des condamnations à mort. Les exécutions sommaires se multiplient et chaque matin s'accompagne de la découverte de corps mutilés… ». Un épisode de la guerre de Libération, le danger permanent et presque aucune possibilité d'y échapper si ce n'est que les personnes mortes ne sont pas parties en vain. Elles, seules savent « pourquoi elles sont mortes. » le talisman, nouvelle qui couronne le recueil est également un texte sur la guerre d'Algérie. Des hommes face à l'armée coloniale. Les premiers, compagnons d'infortune, faits prisonniers, les mains vides, les dernières armes au poing et comportement arbitraire. le prisonnier rebrousse chemin en pensée, non il ne regrette rien. Il a embrassé la cause de ses frères. Dans cette horreur personnifiée par la torture, il revient à un jeu qu'il avait inventé autrefois. Un autrefois heureux, peut-être bien celui de l'enfance. « …Graver certaines formules sur des objets… galets feuilles, morceaux de bois, os. » le corps disloqué, la chair meurtrie par la torture, voici qu'il fait appel avec tout ce qu'il a de force intérieure au fameux jeu du talisman. Son porte-espoir.
Lien : http://www.elmoudjahid.com/f..
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