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Critique de Woland


ISBN : 9782754017220


Ce livre a été lu dans le cadre d'une opération "Masse Critique" sur Babélio et nous remercions tout particulièrement les éditions First Document pour nous en avoir gracieusement offert un exemplaire. ;o)

De son vrai nom Jean Gouyé - et d'origine bretonne, soit-dit en passant - Jean Yanne fut sans doute le seul authentique anar des années soixante et soixante-dix. Un anar qui, malheureusement pour lui et comme la majeure partie de ses semblables, ne parvint jamais à se libérer d'un système qu'il haïssait et tournait cruellement en dérision, un anar qui mourut couvert de dettes et en délicatesse avec le fisc, un anar qui avait la faiblesse d'aimer vivre dans un confort certain - mais peut-être, à bien y regarder, l'anar le plus vrai, le plus insolent du XXème siècle. Il convient désormais de laisser faire le Temps en espérant que la postérité lui rendra l'hommage qui lui est dû en substituant à son image d'amuseur public et de pilier des "Grosses Têtes" celle d'un moraliste pétri d'amertume et d'ironie, qui ne fut jamais en phase avec son époque parce qu'il ne pouvait faire l'impasse sur ses trop nombreux travers.

Chansonnier dont les sketches cyniques font les beaux jours de You Tube & compagnie, comédien prodigieux qui, curieusement, ne tirait aucune gloire de ce don qu'il avait reçu et le considérait même avec mépris, scénariste, dialoguiste et réalisateur ambitieux (mais sans rigueur) qui finit par embourber un talent bien réel dans de pesantes machineries comme le navrant "Deux heures moins le quart avant J. C.", Jean Yanne offre, à celui qui s'intéresse à lui, presque autant de visages qu'il a tenu de rôles, sans que l'on parvienne à savoir lequel était le plus proche de lui.

Certains - qui ne voient pas très loin, il faut bien le dire, et jugent trop sur les apparences - le tiennent pour l'incarnation parfaite du Français moyen dans toute sa gloire, râleur, grossier, toujours prêt à critiquer et à se plaindre, un personnage imbuvable dont la misogynie, la mauvaise foi et la tendance à faire la leçon sont à jamais rédhibitoires. D'autres, plus fins, le tiennent au contraire pour une sorte de génie méconnu et bien plus pudique qu'il ne consentait à l'avouer, que son incapacité semble-t-il foncière à accepter certaines limites techniques et financières a fini par vouer à une vie de semi-expatrié, un pied aux USA et un autre aux "Grosses Têtes" de Bouvard.

Quoi qu'il en soit, que vous préfériez le candidat anonyme mais menaçant du "Permis de Conduire" au Benoît Lepape tout fringant de "Moi Y En A Vouloir des Sous", que vous vous rappeliez avec attendrissement le camionneur parisien qui appelle Micheline Presle "ma p'tite dame" dans plusieurs épisodes des "Saintes-Chéries" ou que vous ayez des petits boutons en vous repassant les pires numéros de beaufitude achevée de Jean Yanne chez Bouvard, vous gagnerez à lire la biographie que Bertrand Dicale vient de consacrer à celui qui demeure l'inoubliable interprète de "Que la Bête Meure" et "Le Boucher" de Chabrol. On est tenté d'écrire que rien n'y manque. En outre, on y sent la volonté de raconter un homme et un artiste tel qu'il fut, avec ses humeurs, ses faiblesses mais aussi son enthousiasme, sa générosité et son grand, son immense talent.

On ne remplacera jamais Jean Yanne mais sans doute est-il mort à temps, en ce siècle où l'angélisme crétin et le politiquement correct semblent vouloir régner sans partage. Il a passé sa vie à les haïr et à en découdre avec eux. Certes, il n'a pas réussi à les vaincre mais sait-on jamais ? Tant qu'il y aura des gens comme vous, comme moi, pour aimer et citer Jean Yanne, pour s'extasier sur ce don unique qu'il avait de se couler sans façon dans la peau d'un personnage - une facilité aussi déconcertante, aussi naturelle, je n'en trouve personnellement d'équivalent que chez Brando - pour encenser ses sketches et ces petites merveilles que sont "Tout le monde il est beau ..." et "Moi Y En A Vouloir Des Sous" - oui, aussi longtemps que cela sera, tout espoir de voir renaître l'Impertinence et le Panache en notre pays ne sera pas perdu. Comme le dit si bien son biographe, le citant lorsqu'il affirmait : "Quand on a un successeur, quel que soit le domaine, c'est qu'on est fini", Jean Yanne n'est pas fini.

Et c'est tant mieux. ;o)
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