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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"May yours be a Joyful Christmas"...
... peut-on lire sur une ancienne carte de voeux victorienne. L'image montre un couple âgé, qui verse avec un rire maniaque le contenu d'un pot de chambre sur la tête des petits chanteurs de cantiques qui grelottent sous la fenêtre.
Bonhommes de neige sinistres, oiseaux morts, batraciens aux traits humains, insectes géants. le Père Noël espionne aux fenêtres avec un rictus sournois les chères petites têtes blondes qui dorment à poings fermés.
Ces curieuses cartes postales sont typiques des Noëls de l'Angleterre victorienne... et dans un esprit similaire se déroulaient aussi les conversations autour de la table festive. Certes, on s'amusait aux devinettes et aux charades et la bonne chère était à l'honneur, mais rien de tel qu'une sympathique histoire de revenants pour instaurer une véritable "atmosphère de Noël". Mais... pourquoi ?

D'où vient cette dimension horrifique et angoissante de la période de l'année qui est par excellence joyeuse, cordiale et généreuse ? Une sorte d'humour "british" ? C'est vrai que la morne période hivernale était liée plus que n'importe quelle autre à l'obscurité, aux maladies et à la mort, surtout dans les milieux pauvres. Mais il y a sans doute également un héritage culturel encore plus ancien, qui date de l'époque préchrétienne et qui est lié au solstice d'hiver. Les nuits sont longues, et les entités maléfiques et les morts en profitent pour visiter les vivants...
D'ailleurs, les Puritains anglais ont fait une tentative pour abolir les traditions populaires de Noël, et leur interdiction de tout ce qui était lié de près ou de loin aux pratiques païennes a failli mettre fin au gui et aux histoires de fantômes racontées à la lueur des cheminées. L'époque des Lumières et la révolution industrielle (qui a drastiquement réduit le nombre de fêtes, pour rallonger tout aussi drastiquement le temps de travail) ont presque achevé le désastre, et pourtant... les thèmes fantastiques ont survécu, en retrouvant leur chemin dans les Noëls chrétiens. Tout ceci, en grande partie, grâce au miracle technologique de la presse industrielle, et aussi grâce à un écrivain célèbre, Charles Dickens.

"L'effet Dickens" a joué un grand rôle dans la popularisation des contes de Noël. Les rédacteurs avaient besoin de davantage de textes pour remplir davantage de pages, et ils n'ont pas hésité de revenir puiser dans l'ancienne tradition orale.
C'est exactement ce que faisait Dickens, mais pas seulement lui : Elisabeth Gaskell ou Margaret Oliphant se sont aussi beaucoup inspirées d'histoires anciennes, remises au goût des festivités de fin d'année. Dickens lui-même a écrit un joli paquet de contes de Noël fantastiques, tout en publiant dans son journal les histoires des autres écrivains sur la même thématique. Une occasion inouïe de commercialiser et populariser les vieux récits terrifiants dans toutes les strates de la société, grâce aux journaux à deux pence. Ajoutez-y la thématique sociale, les misanthropes nantis dont le coeur de glace fond au contact de la chaleur humaine, et vous avez la recette du succès des Noëls britanniques... y compris la mode de ces étranges cartes postales : le début de leur diffusion massive coïncide parfaitement avec la première apparition d'"Un Chant de Noël" (1843).

"Un Chant de Noël" et "L'homme hanté" sont les seuls contes du présent recueil qui se passent vraiment à Noël ("Les Carillons" se déroulent à la Saint-Sylvestre, et "Le Grillon du Foyer" vers la fin de janvier).
Le premier cité est aussi le plus célèbre. Il est inutile de raconter une fois de plus l'histoire d'Ebenezer Scrooge et des trois fantômes qui lui rendent visite ; le succès est mérité et vous prendrez beaucoup de plaisir à accompagner le héros sur son chemin de la rédemption.
"Le Grillon du Foyer" est un doux et chaleureux conte hivernal (si je dois le comparer avec la dureté relative des "Carillons) sur les relations du couple et du voisinage. le discret antagoniste Tackleton n'arrivera pas à briser le bonheur domestique du couple Peerybingle (le criquet "porte-bonheur" y veille !), et à la fin il se laissera même attendrir par la joie ambiante, à l'image du vieux misanthrope Scrooge. le pauvre fabricant de jouets Caleb Plummer et sa fille aveugle sont les personnages typiquement "dickensiens"... j'ai bien fait de laisser décanter un peu ma lecture, car la confrontation des personnages angéliques à leurs crapuleux adversaires prend alors une toute autre dimension : celle de la "magie de Noël", où tout miracle est possible, et les forces du Mal s'inclinent devant les forces du Bien.
Dickens est un conteur talentueux, et on se laisse facilement séduire par les dialogues amusants, charmer par les descriptions des lieux, ou par les inventaires des objets sortis depuis longtemps de l'usage, des jouets ou des plats (qui semblent tous succulents).
"Les Carrillons" sont plus sombres ; on parle de la nature de l'homme. L'histoire de Trotty est dure, émouvante, et elle accuse la cruauté et l'hypocrisie des privilégiés. Dickens voulait peut-être choquer les "sensibles" lecteurs aisés (et il était parfaitement dans ses droits). Depuis le début, où Meg vient voir son père pour lui annoncer son mariage, jusqu'à la fin où Trotty se réveille (peut-être... à vous de décider !) de son cauchemar, on se demande comment tout cela va se finir. Il y a une certaine ressemblance avec "Un Chant de Noël", mais j'oserai dire que les fantômes de Noël étaient bien plus cléments envers Scrooge que les carillons envers Trotty.
"L'homme hanté" met une fois de plus un fantôme sur scène : cette fois il rendra visite au taciturne professeur Redlaw, insensible aux douceurs de la vie, et il lui propose un curieux marché. Mais est-il vraiment souhaitable de pouvoir effacer d'un coup tous nos mauvais souvenirs, anciennes brouilles et souffrances ? La question vaut le coup d'être posée, car l'idée semble très tentante...

Tous les contes ont évidemment un cadre moral bien défini, mais c'est leur but, après tout. Certes, on peut dire que c'est manichéen, édulcoré et saupoudré d'une fine couche de pathos, mais on reste tout de même très loin d'une naïve histoire plate et sirupeuse, alors pourquoi pas... au moins une fois par an ! Dickens va au coeur même du véritable message de Noël : "Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté", et ses fins heureuses réconfortent autant qu'une bonne bûche dans la cheminée. Je préfère de loin ses romans et ses "ghost stories" classiques, mais rien que pour ce subtil appel à l'altruisme, largement diffusé à l'époque de l'année où tout le monde aspire au calme et à la paix, je lui mets 4/5...
... en espérant que vos histoires de Noël - ainsi que les autres - auront toutes une fin très heureuse. Joyeuses fêtes !
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