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Critique de hervethro


Lorsqu'on s'immerge dans ce genre de roman fleuve (ici pas moins d'un millier de pages dans la collection de la Pléiade chez Gallimard) on sait qu'on s'engage pour quelques belles soirées au coin d'un feu réconfortant et crépitant dans l'âtre, les reflets mordorés d'un verre de Brandy dans la main droite, l'envoutante fragrance de l'un des meilleurs havanes dans l'autre, un Border Collie sagement couché sur l'épais tapis brodé, les rideaux tirés sur un paysage de lande détrempé et hostile.
Ce sont des conditions idéales sinon uniques pour entreprendre un pavé tel que Bleak House (la maison lugubre, ventée et glaciale) mais il sera pardonné à tout lecteur d'engager sa lecture bien au chaud dans son lit ou pleinement concentré à un bureau, confortablement assis dans son fauteuil préféré ou toute autre disposition permettant d'y passer des heures sans craindre un mal de dos ou quelque autre désagrément. de toute façon, je ne possède ni manoir battu par les vents sur une lande désolée, ni chien de berger pas plus qu'un épais tapis brodé, je ne cours pas après un bon scotch et l'odeur du tabac m'indispose. Oui, lorsqu'on s'invite parmi cette galerie de personnages, mieux vaut être à son aise.
Bleak House est le roman de la maturité dans l'oeuvre de Dickens et, à l'intention de tous ceux et toutes celles qui n'ont pas eu la curiosité de mettre le nez dans les papiers posthumes du Pickwick club (premier roman, jubilatoire, qui m'offrit quelques-uns de mes plus mémorables fou-rires littéraires!), il ne manque pas d'humour, mais plus subtil, comme infusé. L'intrigue (un procès qui n'en finit pas & une naissance suspicieuse) n'est que le faire-valoir et le décor d'une formidable galerie de personnages tournant autour du quartier où siégeait la Chancellerie qui rendait la Justice à Londres au XIXème, du moins qui persistait dans des procès au long cours comme celui de Jarndyce & Jarndyce. Au passage, Dickens raille ces institutions barbares que sont ces procès sans fin, broyant tout sur leur passage, en premier lieu les hommes, et, en définitive, engloutissant des héritages entiers en frais de cour.
Puisqu'il est physiquement impossible de terminer ce roman en deux jours, je recommande aux lecteurs ayant une mémoire d'oiseau (ou, pire, de poisson rouge) de se faire quelques fiches afin de s'y retrouver parmi cette faune haut en couleur. Chaque personnage est campé à la limite de la caricature, saupoudré d'une bonne dose d'humour. Cela va jusqu'aux patronymes.
Skimpole, qui n'entend rien à l'argent est un gentil irresponsable qu'on excuse volontiers (jusqu'à un certain point).
Snagsby, le papetier, possède toute une collection de toux, soulignant ses propos.
John Jarndyce, le tuteur des orphelins, homme bon et généreux sans aucune restriction (c'est d'ailleurs un peu trop, il n'a aucun angle négatif), parle souvent de « vent soufflant de l'est » lorsque les choses prennent mauvaise tournure.
Richard, le neveu, a une façon bien particulière de compter l'argent en additionnant à son pécule tout ce qu'il entend économiser, « ce qu'il n'aurait pas dépensé ».
Boythorn est un personnage expansif (on raconte que Dickens avait prit pour modèle une de ses connaissances), qui n'est pas assez récurrent dans le roman à mon goût.
Le vieillard Wellwood ayant une manière très personnelle de faire taire sa femme en lui envoyant un oreiller sur la figure.
L'antique mademoiselle Flite qui se rend chaque matin au tribunal, espérant voir la conclusion d'un procès sans fin.
Turveydrop, le père d'un professeur de danse, dont la seule et unique occupation dans la vie est de conforter son maintien exceptionnel.
Bucket, policier au grand coeur, dont il est difficile de ne pas voir l'influence (l'aide?) de Wilkie Collins, ami et concurrent de Dickens.
Miss Jellyby qui oeuvre pour le tiers-monde à grand renfort d'une correspondance soutenue mais oublie parfaitement sa propre progéniture.
Krook qui tient une échoppe où il conserve absolument tout et dont la fin fera couler beaucoup d'encre : Dickens était persuadé de l'existence de combustion spontanée.
Il y a des enfants, bien sûr, impossible d'imaginer un roman de Dickens sans gavroches. Ainsi Jo, victime d'avoir été un témoin trop précieux, fait naitre quelques larmes.
Jusqu'à la gouvernante française (Madame Rouncewell) dont la traduction montre ses limites quant à rendre son anglais imparfait (à ce propos, pour tous ceux qui se passionnent pour la langue, je conseille de lire la préface et la notice dans lesquelles le traducteur explique les difficultés rencontrées sur un tel texte).
Toutefois, cette légèreté de façade partage aussi de plus sombres dénouements. Tout n'est jamais tout rose dans le quartier de la Justice à Londres. Les différents protagonistes vont l'apprendre souvent à leurs dépends. La justice des hommes dans l'Angleterre Victorienne broie aussi bien que, un siècle plus tard, la haute finance mondiale.
Cela foisonne de partout, les personnages s'intriquant comme dans la meilleure trame d'un tissu mordoré.
Contrairement à ses oeuvres plus austères, on a l'impression d'une merveilleuse bienveillance de la part des personnages et même les plus âpres se révèlent d'une bonté étonnante, d'une grandeur d'âme qu'on attendait pas. C'est le cas de Mrs Dedlock, aristocrate froide et hautaine ou même de son mari qui saura montrer une vraie noblesse de coeur dans l'adversité. C'est oublier bien vite que ces âmes nobles évoluent dans un bourbier où la pauvreté côtoie le misérable destin de ceux qui n'ont rien. Il n'en ressort pas moins que Bleak House (désolé, je ne me fais pas au titre français, trop proche du roman d'Emilie Brontë) est un roman revigorant. A lire quand on a le blues.
Petit conseil de lecture à ceux qui ne sont pas habitués à cette verve propre au XIXème parfois désarçonnant, faite de l'emploi immodéré des négations et des tournures d'un autre siècle. On peut raisonnablement escamoter les deux premiers chapitres et commencer par le récit d'Esther, qui selon mon humble avis, aurait dû démarrer le roman, lui donnant d'emblée le bon rythme, quitte à intercaler la description de la Chancellerie et l'introduction des Dedlock et leur avoué, Mr Tulkinghorn après s'être rodé sur quelques chapitres plus récréatifs.

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