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Critique de Krout


A Claire.


Ce n'est pas le livre que j'attendais, pas une biographie, c'est mieux, le titre est on ne peut plus explicite, bien choisi, pesé comme le seront les mots tout au long de ce dit. Il m'arrive alors que je suis traversé par une vague de tristesse. Enfin je lis. L'écriture est pure. Elle parle de la mort, de son incompréhension, de l'effet sur les proches, de ce moment où l'on perd pied, cette sensation d'étouffement, ce besoin de se raccrocher, comme l'on peut. La présence d'Anne Dufourmantelle habite chacune de ces pages tout comme je ressens qu'elle habite chacune de ces personnes, inconnues au point que je les confonds à des personnages.


Sensation d'être un intrus, là par hasard où je ne suis pas légitime, impression de m'immiscer dans un cercle d'intimes dont je ne fais pas partie, d'usurper l'écoute d'un récit beau et sensible au demeurant, la question n'est pas là. Par la pudeur du message, je ne regrette pas mon choix incongru. C'est seulement ces derniers mois par l'intermédiaire de Piatka que j'ai appris à la fois l'existence et la mort d'Anne Dufourmantelle. Par ses citations, commentaires et sa seule chronique (que n'a-t-elle pas écrit un billet sur celui-ci, elle aurait mieux...) elle m'avait donné l'envie de l'approcher, je sais reconnaître une belle personne même de très loin, c'est ainsi qu'à la première occasion j'ai plongé sans hésiter. Il n'empêche, je reste au bord du chemin, extérieur. C'est pourquoi mes mots me semblent vides, vains, loin de ceux du bouquin.


Ainsi pour moi la vie et la mort d'Anne Dufourmantelle s'entrechoquent. J'ai toujours pensé qu'une belle mort venait couronner une belle vie, je rejoins même les Pharaons pour qui la vie servait à préparer la mort, plus qu'une vérité c'est une de mes croyances. Et il n'y a pas beaucoup de plus belle mort à mes yeux que donner sa vie pour sauver ceux qu'on aime. Une déficience cardiaque, pour le même prix elle fauche une ou plusieurs personnes en voiture, mais toute sa vie l'a conduite vers une fin plus lumineuse. Une vie pleine comme la qualifiera si justement Guilhem le fils de l'auteur, dans ce rapprochement entre un père et un fils si tendrement raconté en cette perte ressentie de concert. Une vie pleine, j'avais envie d'ajouter et généreuse, c'eût été un pléonasme, l'une ne va pas sans l'autre. Pourquoi cela me paraît-il alors si difficile, quand mes grands-parents déjà me le montrait comme une évidence ?


J'en reviens à ce sentiment d'exclusion qui prédomine. Il vient de bien plus loin que la non connaissance des personnes. Peut-être mon rejet extrême de tout voyeurisme ? Je trouve indécents ces humains, et ils sont majoritaires, qui ralentissent fortement afin d'assouvir une curiosité, malsaine de mon point de vue, lorsqu'ils croisent un accident dans l'autre sens sur l'autoroute, et la colère mêlée au dégoût me monte si en plus mon regard en perçoit certains en train de photographier ou filmer. Ici ce n'est pas cela, aucune indécence car la pudeur du texte, un autre de ses mérites, gomme entièrement toute sensation de colère ou de dégoût. Il faut chercher probablement dans mon rapport singulier avec la mort que je considère comme un aboutissement, une porte que tout un chacun fini un jour inconnu par pousser, et qui se claque alors violemment derrière lui. Est-ce mon désir absolu de liberté qui me fait laisser les morts enterrer les morts, plutôt que de les vouloir retenir ne fût-ce que par pensée ?


Voilà qui aurait pu être un bel échange avec Anne si j'avais été dans son monde, déjà je partage entièrement au travers d'interviews, dénichées sur le net, son éloge du risque et la force de la douceur. Je dois maintenant m'éloigner du livre pour partager quelques mots du domaine de l'intime, mais le livre aussi relève de ce domaine. Lorsque j'ai répondu à Babounette ce samedi 6, je n'ai probablement pas eu les mots qu'elle attendait. Ce qu'elle m'annonçait je l'avais déjà assimilé, je savais depuis plusieurs semaines le cancer, et je savais depuis plus longtemps encore la manière courageuse dont Claire avait décidé d'affronter sa phase ultime si elle venait à se déclencher, seule la date arrêté du mardi 9 m'était inconnue. J'étais à un repas d'amis ce soir-là et puis j'y suis resté sans plus y être, spectateur en retrait comme lors de cette lecture, tout en n'ayant pas été avec Babounette et sans être non plus avec Claire, dans un état proche de la sidération.


Un des invités que je rencontrais pour la deuxième fois, une de ces personnes douées d'une véritable attention (comme l'était Anne d'après ce que j'ai lu, comme l'était Claire d'après ce que j'ai vécu à plusieurs occasions) est venu me repêcher avec tact, il s'est d'abord adressé à mon vis-à-vis et puis m'a intégré dans leur conversation. Je suis totalement dépourvu de ce talent, ce n'est pas que je ne vois pas les choses ou ne les sens pas, c'est une incapacité à trouver spontanément le mot juste, le geste qui touche. Ainsi s'explique, Claire, sans l'excuser, ni encore moins le justifier, ce coup de fil que tu as peut-être espéré en vain, qui n'est pas arrivé parce que je ne voulais pas m'imposer, et mon absence aujourd'hui au crématorium où je serais au mieux passé inaperçu, ne connaissant aucun de tes proches. Il n'empêche ce n'est pas tant le nombre des rencontres que leur profondeur qui importe et tu avais toi aussi cet art de rendre ces moments précieux.

Merci à Babelio et aux éditions Thierry Marchaisse pour ce livre plein d'humanité reçu par la Masse critique de septembre.
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